« Le gouvernement aggrave la politique menée par la droite »

ENTRETIEN. La « loi Macron » est une loi ultra libérale, qui porte gravement atteinte aux services publics, estime la députée Front de gauche Jacqueline Fraysse.

Pauline Graulle  • 21 décembre 2014
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« Le gouvernement aggrave la politique menée par la droite »
© Photo: JACQUES DEMARTHON / AFP

Le travail du dimanche, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt de la « loi Macron ». Avec ses 106 articles et 141 pages, sans compter l’étude d’impact de 372 pages versée en annexe, le projet de loi « pour la croissance et l’activité » touche des dizaines de secteurs différents : du permis de conduire au logement social, en passant par l’épargne salariale, le code du travail (lire l’analyse du socialiste Gérard Filoche ici) ou la liberté d’installation des notaires.
_ Emmanuel Macron a beau répéter à l’envi que sa loi est « pragmatique » , Jacqueline Fraysse , députée Front de gauche, membre de la commission spéciale chargée d’examiner le texte, y voit une loi portée par l’idéologie ultra libérale. Entretien.
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_ Politis : Vous avez déploré que la commission parlementaire sur le projet de loi Macron ne dispose qu’une semaine pour examiner le texte. Pourquoi ?
_ Jacqueline Fraysse : Tous les groupes politiques siégeant dans cette commission ont fait savoir, plus ou moins ouvertement, qu’accorder une semaine – du lundi 19 au dimanche 25 janvier inclus ! – pour examiner les 106 articles de la loi est clairement insuffisant. D’autant que nous serons en pleine période des vœux : les députés vont se rendre dans leur circonscription à la fin de la semaine, au moment où sera abordée la dernière partie du texte – qui est aussi la plus épineuse – sur le travail du dimanche et de nuit. Je n’ose croire qu’il s’agit d’une démarche machiavélique de la part du gouvernement. Mais force est de constater que rien ne justifie que le texte arrive en séance à l’Assemblée nationale le 26 janvier. On ne s’explique donc pas cette urgence. C’est pourquoi, les présidents de groupe de la commission ont décidé d’écrire une lettre commune pour demander huit jours de travail supplémentaires.
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_ Vous avez expliqué que, loin d’être la loi « fourre-tout », la loi Macron comporte une véritable cohérence. Laquelle ?

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Quand Emmanuel Macron explique qu’il veut « libérer » et « déverrouiller » , il faut entendre qu’il veut libéraliser et privatiser. Ce texte touche à des sujets très divers, et empiète d’ailleurs sur les compétences d’autres ministères, comme la Justice (pour ce qui concerne les professions réglementées) ou le ministère du Travail (pour ce qui concerne la partie sur l’inspection du travail, les Prud’hommes, et le travail du dimanche et de nuit). Derrière cette impression d’éparpillement, il y a deux piliers idéologiques : flexibiliser l’activité et casser les services publics. Il s’agit à la fois de rassurer Bruxelles, qui exige des réformes structurelles pour laisser l’initiative privée se déployer. Mais cela répond aussi, sans doute, à de vraies convictions de la part de ce gouvernement. Or cette politique annonce des reculs sociaux très importants, en matière de droit du travail ou de baisse du pouvoir d’achat, puisque la privatisation de pans entiers de services publics va conduire à une augmentation tous azimuts des tarifs et à une dégradation des conditions de travail.
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_ On a beaucoup parlé de la mesure phare du texte : généraliser le travail du dimanche. Quelles autres mesures emblématiques ce projet de loi contient-il ?

_ La privatisation des aéroports (pourtant parfaitement rentables pour l’Etat) va conduire à priver l’Etat et les Régions de leur pouvoir d’aménagement et de développement du territoire, et à donner au privé la maîtrise de ces instruments. On est en train de faire avec les aéroports l’erreur qu’on a faite avec les autoroutes, qui a fini par coûter très cher aux citoyens. Autre exemple, la libéralisation des transports en autocar, qui va instaurer une société à deux vitesses. Alors que le ministre aurait pu encourager la SNCF à proposer des tarifs sociaux, cette mesure va diviser la société entre ceux qui auront les moyens de prendre le train et les autres, qui devront prendre l’autocar pour se déplacer. Non seulement, l’octroi à des opérateurs privés des lignes régulières va faire concurrence au train, mais c’est aussi une manière de privatiser les services publics du transport. Autre mesure emblématique, celle visant à généraliser le travail dominical et de nuit, qui s’inscrit dans la lignée de la transposition de l’ANI (l’Accord National Interprofessionnel) : à terme, le travail du dimanche va être banalisé, avec pour conséquence qu’il sera considéré comme un jour « ordinaire » et donc, que l’employeur ne le rémunèrera pas plus qu’un autre jour. Enfin, l’incitation faite aux offices HLM de construire du logement intermédiaire va entraîner une diminution de la construction de logements sociaux. Ce qui nous inquiète également dans ce projet de loi, c’est la multiplication du recours aux ordonnances : le gouvernement pourra passer de plus en plus souvent en force.
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_ Ne pensez-vous pas que la loi Macron va créer des emplois ?
_ Hélas, non. On a déjà l’expérience de ce genre de mesures. On sait que lorsque l’on délègue des tâches de service public à des prestataires privés, les tarifs augmentent et le travail se précarise. D’autre part, tout ce qu’a fait ce gouvernement, du Pacte de responsabilité (qui a coûté 41 milliards) au CICE, n’a pas eu d’effet sur l’emploi. L’entreprise pharmaceutique Sanofi a touché plus de trente millions au titre du CICE, et dans le même temps a supprimé plusieurs milliers d’emplois dans l’indifférence générale ! S’agissant de l’extension du travail du dimanche et de nuit, le risque est réel de renforcer l’emploi précaire et de fragiliser le commerce de proximité au profit des grandes enseignes.
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_ Quelles sont vos marges de manœuvre pour modifier le projet de loi, avant qu’il n’arrive à l’Assemblée ?
_ Elles sont très limitées. Notre objectif consiste déjà à alerter les Français sur les problèmes qu’elle pose. Pour l’instant, la bataille de la communication a été remportée par le gouvernement, qui a divisé les Français entre les prétendus « courageux » qui veulent travailler le dimanche, et les prétendus « ringards » qui y sont opposés. Or, il y a un vrai enjeu de société : voulons-nous conforter la société de consommation, ou construire une société plus équilibrée et tournée vers les exigences d’une économie plus solidaire et durable ? Il nous faut également montrer que le gouvernement socialiste poursuit et aggrave la politique menée par la droite avant lui.
_ Ensuite, nous allons examiner les mesures une à une pour essayer de les amender. Ce ne sera pas facile. Le mieux que l’on pourra faire sera sans doute de mettre des garde-fous. Par exemple sur les compensations salariales dans le cadre du travail du dimanche et de nuit, ou le taux de logement social à construire en échange des incitations à la construction de logements intermédiaires. Même si les députés socialistes « frondeurs » ont affirmé publiquement leur détermination à aller contre ce projet de loi, il n’en reste pas moins que les députés socialistes à l’origine de ce texte sont majoritaires et trouveront des alliés à droite – et c’est logique, puisqu’ils défendent la même politique. C’est pourquoi je crains que cette loi passe quasiment en l’état.

Politique
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