L’envers de l’Eldorado britannique

Un rapport dénonce la face cachée du bilan économique de David Cameron, dont la politique est encensée par nombre de journalistes économiques.

Michel Soudais  • 9 décembre 2014 abonné·es
L’envers de l’Eldorado britannique
© Photo: Une banque alimentaire londonienne, le 17 mai 2014 (CITIZENSIDE/GUY CORBISHLEY / CITIZENSIDE.COM)

Comme un pavé dans la marre. Le rapport « Feeding Britain », publié hier, écorne sérieusement l’image lénifiante d’une économie britannique resplendissante. Sa conclusion ? La faim touche de plus en plus de monde au Royaume-Uni. « Il y a des gens (qui n’ont pas assez d’argent pour s’acheter suffisamment à manger) dans ce pays » , lit-on dans ce document financé par l’archevêché de Cantorbéry, chef spirituel des 80 millions d’Anglicans dans le monde.
Ce rapport, résultat d’une commission d’enquête réunissant des parlementaires de tous bords, ne donne pas trop de chiffres. « Tout ce que nous savons (…) c’est qu’il y a trop de gens » dans ce cas dans un pays où pourtant le taux de chômage est à son plus bas avec 6%, écrivent ses auteurs. On y apprend toutefois que le nombre de personnes ayant eu recours à l’aide alimentaire du Trussell Trust, l’une des plus importantes associations de gestion des banques alimentaires du pays[^2], est passé de 128.697 en 2011/2012 à 913.138 en 2013/2014. Soit une multiplication par sept en deux ans !

Trois raisons expliquent cette augmentation de la pauvreté , selon le rapport. Les retards de paiement et les dysfonctionnements du système d’allocations sociales comptent parmi les principales raisons qui conduisent les gens à faire appel aux banques alimentaires pour se nourrir, estime-t-il. « Le gouvernement doit réformer de façon urgente le système de prestations sociales afin que les paiements soient effectués rapidement, en cinq jours ouvrables » , recommande la commission d’enquête. Le rapport pointe aussi le développement des très bas salaires tandis que les prix des produits alimentaires ne cessent d’augmenter[^3]. Il s’inquiète également de la hausse, depuis une décennie, des dépenses des ménages britanniques consacrées aux postes essentiels (logement, énergie et nourriture), alors que cette part avait chuté entre 1953 et 2003. Ce retournement de tendance est particulièrement notable pour les 10 % les plus pauvres, qui ont vu ces dépenses passer de 31 % de leur budget en 2003 à 40 % en 2012, selon lui.

Ce rapport ne manquera pas d’alimenter le débat politique outre-Manche à l’approche des législatives de mai. En cas de victoire, les conservateurs au pouvoir depuis 2010 ont annoncé récemment leur volonté de geler les allocations sociales pendant deux ans (sauf pour les handicapés et les retraités) afin de contribuer à la réduction des déficits. L’opposition travailliste, légèrement en tête dans les intentions de vote, les accuse d’avoir assommé les classes moyennes et populaires par une austérité budgétaire sans précédent.

De ce côté-ci du Channel , il met à mal également le discours dominant qui voudrait nous prouver que l’austérité peut être un succès. Ses effets sur les classes populaires britanniques étaient en effet totalement ignorés ou niés par la plupart des journalistes économiques qui, régulièrement depuis des mois, nous vantent les mérites de la politique de David Cameron et sa « croissance en pleine forme » , « insolente » ** dans une Europe au point mort… C’était encore le propos de Vincent Giret, journaliste au Monde , vendredi dernier sur France-info. Il y vantait les résultats de cette « grande nation complètement connectée à la mondialisation des échanges et des services » , qui « créé  ‘1000 emplois par jour’, dont la croissance est 7 fois supérieur à celle de la France et dont le taux de chômage est de 6% » . Le conservateur David Cameron, claironnait-il, possède un « bilan qui fait pâlir d’envie ses partenaires européens » … Difficile d’imaginer chronique plus dithyrambique. Le XVIe siècle nous a pourtant appris que l’Eldorado n’était qu’un mythe…


L’économie de la Grande-Bretagne tourne à plein… par FranceInfo

[^2]: Le Royaume-Uni, où la première banque alimentaire a ouvert en 1999, en compte désormais 420 gérées par le Trussell Trust et au moins autant gérées de façon indépendante.

[^3]: Dans la dernière décennie, l’inflation des produits alimentaires a été de 47 % dans le pays, soit un taux supérieur à ceux observés aux Etats-Unis (30,4 %), en Allemagne (22,1 %) ou en France (16,7 %), rappelle le rapport page 11.

Monde Économie
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