« The Best Day », de Thurston Moore : Beau comme le jour

The Best Day , de Thurston Moore, rappelle furieusement les grandes heures de Sonic Youth.

Jacques Vincent  • 4 décembre 2014 abonné·es
« The Best Day », de Thurston Moore : Beau comme le jour
© **The Best Day** , Thurston Moore, Matador/Beggar’s Banquet. Photo : Vera Marmelo

Deux groupes américains ont dominé le rock pendant plus de trois décennies, réussissant magnifiquement, dans des genres différents, à conjuguer longévité et créativité, avant de disparaître presque en même temps en 2011.

REM a brillamment maintenu tout du long la flamme d’un rock mélodique porté par des guitares scintillantes. Sonic Youth, dans la plus pure tradition arty new-yorkaise, proche des sphères expérimentales à ses débuts bruts et radicaux, a réussi, sans rien renier, à produire une musique sortie de cette gangue pour s’épanouir dans des formes moins abruptes au fur et à mesure que s’est imposé un versant mélodique insoupçonné. Si l’on a peu de nouvelles des premiers, les membres du second sont restés très actifs. Dernière production en date, celle de Thurston Moore, chanteur, guitariste et figure de proue du groupe. Il s’agit moins d’un nouvel épisode de sa vie après Sonic Youth que de ses activités en dehors du groupe, qui ont toujours été nombreuses et variées : musiques de film, collaborations avec d’autres musiciens et un premier album solo en 1995. En revanche, près de quatre ans après l’acoustique Dislocated Thoughts, The Best Day marque pour Thurston Moore une sorte de retour à la maison. D’abord parce qu’il retrouve l’un de ses compères de Sonic Youth, le batteur Steve Shelley. Aussi parce qu’il s’agit d’un retour à l’électricité. Et à une formule à quatre : basse, batterie et deux guitares. Aux côtés des deux anciens Sonic Youth, on trouve ainsi un certain James Sedwards à la guitare et Debbie Googe, la bassiste de My Bloody Valentine, formation anglaise dont on ne sait jamais si elle a disparu ou est seulement en sommeil, et figure mythique d’une internationale bruitiste. Dès les deux premières compositions, on retrouve toute la manière de faire connue et appréciée chez Sonic Youth. Le goût pour les structures répétitives et les longs développements instrumentaux. Cette façon de créer un tangage qui s’installe progressivement et qui, par son effet hypnotique, finit par générer ce sentiment étrange que la musique produit sa propre énergie et pourrait continuer même si les musiciens abandonnaient leurs instruments. La batterie métronomique est une mécanique implacable et inépuisable qui propulse inexorablement les morceaux vers l’avant. Les deux guitares sont tantôt dans une proximité fusionnelle, tantôt dans un partage des rôles et de l’espace, la basse, à leurs côtés, attentive à leur cheminement et à leurs soubresauts.

Parfois, l’électricité s’absente le temps d’un morceau, et on peut alors constater qu’elle ne détermine pas la forme des compositions. Ainsi « Vocabularies », qui offre une étonnante version acoustique des océans sonores déjà évoqués, et « Tape », qui, par sa fixation dans les notes métalliques aiguës, suggère étonnamment des échos du Led Zeppelin de The Battle Of Evermore. Dans un autre genre, « Detonation » rappelle le goût de Thurston Moore pour les groupes anglais surgis dans le sillage des punks, à la fin des années 1970, tels Wire ou Gang Of Four. Un morceau intense, court et tendu à l’extrême jusqu’à son abrupte conclusion. Autre registre encore avec le morceau qui donne son titre à l’album, « The Best Day », basé sur un riff de guitare des plus classiques, magnifique de simplicité et d’évidence. Au-delà des qualités de chacune des compositions, c’est aussi leur diversité qui fait toute la richesse du disque. En conclusion, il serait tentant de tendre un miroir à son titre en disant qu’il montre Thurston Moore sous son meilleur jour, mais ce serait finalement presque offensant pour quelqu’un dont on n’en connaît guère de mauvais.

Musique
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