Véronique, 60 ans, depuis 4 mois à la rue

Elle a perdu son travail après avoir perdu son fils. Sa propriétaire l’a virée pour libérer l’appartement et le louer à sa nièce. Elle a tout mis dans un caddie. Tout. C’est-à-dire pas grand chose.

Eloïse Lebourg  • 6 décembre 2014
Partager :

Beaucoup de changements ces deux dernières semaines. Christophe est au squatt « La Clé crochette », un lieu ouvert par et pour des citoyens. R. est en train d’arrêter de boire, les médicaments l’assomme, mais il résiste. Louca a disparu du jour au lendemain. D’autres sont apparus, de plus en plus nombreux, ils veulent écrire, raconter la rue. Aujourd’hui, voici le témoignage de Véronique, 60 ans. Elle a perdu son travail après avoir perdu son fils. Sa propriétaire l’a virée pour libérer l’appartement et le louer à sa nièce. Elle a tout mis dans un caddie. Tout. C’est-à-dire pas grand chose. Les premières nuits, elle a dormi sur des sacs plastiques, les autres, ceux de la rue, les habitués, lui ont filé couvertures et duvet. Ça fait quatre mois. Elle se balade d’hébergement d’urgence en hébergement d’urgence, quelques nuits à la belle étoile aussi. Elle a économisé sur son RSA pour un jour pouvoir prendre un studio pour elle. Un meublé. Mais en attendant…

Aujourd’hui, j’ai rencontré ceux que j’avais connus au Bungalow ( NDLR: Les bungalows sont des hébergements d’urgence), ils m’ont demandé de mes nouvelles. C’est gentil, ça. Ça fait 7 jours que je suis au Cécler ( NDLR: autre hébergement d’urgence où on ne peut rester plus de 7 jours), Céline a donc téléphoné au 115. Ouf, ils m’ont prolongée de 7 jours. Je suis contente. C’est pas mal le Cécler, on y mange bien, on dort au chaud et ils organisent même des fêtes. Lors de la dernière, «la fête américaine», les enfants étaient déguisés et les animateurs aussi. On avait décoré la salle, et préparé un buffet.

J’aime bien venir manger le midi à l’accueil de jour de la fondation Abbé Pierre. On dépose les chiens dans le chenil. Ils ne salissent jamais, ils n’aboient pas. Je n’ai pas de chiens, mais j’aime bien qu’ils soient là. Ils sont jolis, et on leur donne le reste de nos repas ou des croquettes, quand il y en a. Les SDF aiment les animaux. Les chiens sont très reconnaissants. Les gens de la rue se privent pour eux. Une des filles de la rue m’a dit un jour que quoi qu’il se passe, elle ne se séparerait pas de son chien. Elle dort dehors, dans le froid, si à l’hébergement d’urgence on refuse d’accueillir son chien. En période hivernale, l’accueil de jour a changé ses horaires. on peut y rester jusqu’à 16 Heures. Ça fait du bien. On est ensemble, on discute, on boit du café, au chaud. Il y a un gars qui chante tout le temps: il connaît tout le répertoire de Johnny.

Aujourd’hui dimanche, je suis allée au marché. Je me suis achetée des chaussettes, 5 paires pour 3 euros. Je ne vais jamais dans les magasins. C’est trop cher. En rentrant à Cécler, j’ai croisé ma voisine qui avait l’air triste. Ses enfants de 15 et 13 ans lui manquent. Ils vivent chez un des membres de sa famille. Ils travaillent bien à l’école, mais elle se fait du souci, elle les appelle tout le temps. J’ai essayé de la rassurer, je lui ai dit qu’elle finirait par trouver un appartement avec une chambre pour elle et une chambre pour ses enfants. J’aime beaucoup cette dame. Je crois que je lui ai fait du bien. Nous sommes peu de femmes. Cinq femmes pour une cinquantaine d’hommes. Alors, moi, je me fais discrète. Pour l’instant, ils ne m’embêtent pas. Bien sûr, j’ai déjà entendu «je me la taperais bien» , et je crois qu’il y en a un qui m’aime bien, il me sourit tout le temps. Moi, je ne m’attarde pas.

Lundi, un jeune qui va à l’accueil de jour est arrivé en pleurant , pendant que nous mangions. Il avait perdu sa chienne. Il pleurait, inconsolable. Sa chienne a eu peur du bruit d’une moto. Effrayée, elle s’est enfuie. Alors, on s’y est tous mis, on a cherché. On a fait des affiches avec la photo du chien. Et hier, un monsieur qui nettoie les rues est venu prévenir l’accueil de jour: il a retrouvé la petite chienne. On était vraiment tous contents… Surtout, le maître, il s’est caché, mais je crois qu’il pleurait de joie!

Depuis quelques semaines, j’ai l’impression que les gens changent de comportement face aux SDF. Ils nous parlent plus. Ça fait du bien. Malgré tout, il reste quelques personnes qui estiment que cela ne leur arrivera jamais. Mais avec tous ces licenciements, divorces ou ruptures familiales, personne n’est à l’abri.
Ce monde est de plus en plus dur, il faudrait donc devenir plus solidaire, plus humain, plus compréhensif.
Heureusement qu’il y a des associations, des bénévoles. Je trouve qu’il y a de plus en plus de jeunes à la rue, sans emploi, logement ni famille. Et ces femmes qui sont restées sans travailler pour garder leur enfant. Une fois veuves, elles n’ont pas de retraite suffisante pour avoir un appartement.

Et voilà, je suis désormais au bungalow pour 7 jours. C’est un algéco. Je n’aime pas trop cet endroit. Mais je trouve cela bien pour les gens qui ont des chiens. Surtout que vraiment, je toruve que les chiens de SDF sont super bien éduqués. Ils ne me dérangent jamais, ils n’aboient pas.
Comme c’est le début de l’hiver, vers 21 heures, le car des restos du coeur s’arrête. On peut y prendre à l’intérieur un repas chaud.

J’ai entendu dire que les gens pensaient que les SDF ne se lavaient pas. C’est faux. À l’accueil de jour, il y a une douche pour les femmes et une pour les hommes. Aux bungalows, nous avons nos douches et nos WC. ( bon, ce n’est pas très pratique l’hiver, il faut traverser toute la cour pour aller aux toilettes.) Nous pouvons aller chercher des vêtements au marché aux puces. Des vêtement presque neufs pour un euro. Des chaussures aussi. Depuis que je suis SDF, j’ai vu une seule fois un homme très âgé, vraiment très sale, et pas rasé.
Aujourd’hui, nous pouvons même bénéficier de soins gratuitement, grâce à des médecins bénévoles.

Il ne faut pas rentrer dans les clichés. Nous avons notre dignité, nous nous lavons, nous cherchons du travail, mais sans logement c’est compliqué. peu d’entre nous font la manche sans avoir quelque chose à offrir: un dessin, un peu de musique, ou comme Fred, des Origami. Moi, ca va, j’ai le RSA. je ne me plains pas, et je ne fais pas la manche. J’essaie avec Sybille ( NDLR: salariée de la fondation Abbé Pierre, collectif pauvreté et précarité) de trouver un studio. J’ai économisé sur mon RSA pour payer la caution. J’espère qu’un propriétaire sera d’accord pour me louer un meublé. Car je n’ai plus rien. Mais, ne me jugez pas. Ma vie a été très compliquée. J’ai bossé trente ans dans les hôpitaux. Et je me suis retrouvée seule et sans emploi. Ma propriétaire a fini par vouloir louer son studio à quelqu’un d’autre qu’à moi, sa nièce, je crois. Là, ça a été le vide. J’ai marché des heures dehors avec mon caddie chargé. Les associations m’ont prise en charge. Je suis sûre, que je vous écrirai bientôt que j’ai un toit sur la tête, et alors, même si j’ai 60 ans, je chercherai du travail, de l’aide à domicile pour les personnes âgées. Je vous le redis: ça n’arrive pas qu’aux autres. Et nous sommes des gens biens. Pas pires, pas mieux que vous qui êtes en train de me lire…

En partenariat avec l’accueil de jour de Clermont-Ferrand de la fondation Abbé Pierre, ce blog ouvre ses pages à ceux que l’on ne voit ni n’entend jamais. Les sans-domicile-fixe clermontois, par le biais d’un atelier d’écriture animé par Éloïse Lebourg, peuvent désormais raconter chaque semaine leur quotidien ou réagir à l’actualité.
Publié dans
Les blogs et Les blogs invités
Temps de lecture : 7 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don