À propos d’espoir

Notre espoir est politique. C’est l’idée d’un gros grain de sable dans le système européen. Et d’une heureuse contagion ailleurs sur le continent.

Denis Sieffert  • 8 janvier 2015 abonné·es

Le mot fleurit un peu partout ces jours-ci dans les discours et sur les couvertures de magazines. L’espoir est de saison. On ne forme pas des vœux de bonne année à tout-va sans espérer au moins un peu. Chacun a droit à sa part de pensée magique. Mais il arrive aussi que l’espoir relève de la méthode Coué, ou d’une simple opération de communication. L’optimisme qui semble soudain s’emparer de l’entourage de François Hollande appartient assurément à cette catégorie. Les déficits continuent de grossir et le chômage de s’aggraver, et pourtant, d’un coup d’un seul, tout semble aller mieux. C’est, nous dit-on, que nous sommes entrés dans la « seconde partie » du quinquennat et que « le temps de la reconquête » est venu.

Dans cette fable, François Hollande serait à la fois le lièvre et la tortue. Après avoir, pendant deux ans et demi, avancé à reculons dans les sondages, le voilà qui courrait ventre à terre vers le poteau d’arrivée. Et bon nombre de nos confrères avec lui. Car, curieusement, les mêmes qui se montrent lucides sur la manipulation en démontent les rouages, en retrouvent les auteurs dans les arcanes élyséennes, s’en font les relais et les complices. Il aura suffi qu’en haut lieu on décide que cette année serait « l’année du climat », ou que les sujets de société seraient désormais préférés aux questions économiques et sociales, ou encore que le chef de l’État, empruntant les recettes de son prédécesseur, se mette à occuper frénétiquement l’espace médiatique, pour que le doute s’insinue : et si François Hollande était de gauche ? Et pourtant le chômage grimpe, aurait dit Galilée… Et rien n’a changé : la loi Macron est toujours là, et la manne miraculeuse des baisses de l’euro et des taux d’intérêt servira à rembourser la dette plutôt qu’à un quelconque usage social. Mais, magie de la communication et faiblesse de nos crédulités collectives : les sondages repartent à la hausse. On comprendra donc que le mot « espoir » qui orne la couverture de Politis en ce début janvier n’est pas exactement le même que celui qui stimule la cote de popularité de François Hollande. D’ailleurs, il nous vient de l’autre bout de l’Europe. Car c’est évidemment la perspective d’une victoire de la gauche radicale grecque le 25 janvier qui nourrit cette espérance-là.

Entendons-nous bien : nous ne sommes pas des doux rêveurs. À supposer que Syriza remporte ces législatives – ce qui est loin d’être fait –, les Grecs ne sortiront pas pour autant du marasme dans lequel des années de politique d’austérité les ont plongés. Quand on voit la rage avec laquelle les dirigeants européens, Pierre Moscovici en tête, mènent l’offensive, les calamités qu’ils promettent au pays en cas de « malheur », on imagine que la suite ne serait pas de tout repos pour Alexis Tsipras et ses amis. Angela Merkel est même allée jusqu’à brandir la menace d’une exclusion de la zone euro, provoquant un début de panique sur les marchés. Quant à François Hollande, il a rappelé que Syriza devra « respecter les engagements » de la droite. Oui à Syriza, à condition que la politique des libéraux soit poursuivie ! C’est une machine de guerre qui s’est mise en mouvement pour empêcher la victoire de la formation d’Alexis Tsipras. Ou, le moment venu, organiser l’échec de sa politique anti-austérité. Tout ça, me direz-vous, ne respire pas le fol optimisme, et votre « espoir » n’est pas très galvanisant. Eh bien, chers lecteurs, détrompez-vous. Car notre espoir est politique. C’est l’idée d’un gros grain de sable dans le système européen. Et d’une heureuse contagion ailleurs sur le continent. À commencer bien sûr par l’Espagne, où le mouvement Podemos, donné lui aussi favori en vue des élections de novembre, trouverait un sérieux encouragement. En France, ce serait une incitation à des regroupements de nature à recréer une alternative de gauche, si j’ose dire, compétitive. C’est dans cette perspective que nous faisons une part belle dans le numéro de cette semaine à ces « chantiers d’espoir » qui s’ouvrent fin janvier (voir pages 4 à 6). On imagine qu’une victoire de Syriza aurait pour tout le monde un effet stimulant.

À part ça, il serait passionnant de voir la gauche radicale grecque aux prises avec la réalité du pouvoir. Il lui faudra, si elle y parvient, beaucoup d’habileté et de courage. Car depuis 1992 et le traité de Maastricht, c’est un système redoutable qui a été mis en place. Une machine de guerre libérale qui a fini par s’identifier tristement à l’Europe. Si au moins cette campagne électorale grecque pouvait réimposer une autre grille de lecture dans le discours européen ! Si l’on pouvait cesser, par exemple, de dire que la Grèce va mieux quand les Grecs vont plus mal ! Et si on pouvait arrêter de mêler dans une même statistique les chômeurs et les spéculateurs au prétexte qu’ils ont la même nationalité ! Enfin, hasards du calendrier, le 26 janvier, lendemain du 25, commence à l’Assemblée le débat sur la loi Macron. Un débat dont Cécile Duflot a courageusement donné le ton. Gageons qu’un vent d’espoir venu de Grèce ne serait pas sans effets sur les élus hésitants.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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