Bure est mal barré

Six associations ont déposé une assignation pour faute contre le site d’enfouissement de déchets : des données auraient été dissimulées.

Patrick Piro  • 8 janvier 2015 abonné·es
Bure est mal barré
© Photo : AFP PHOTO / OLIVIER LABAN-MATTEI

Le mouvement de résistance à la construction du site de Bure (Haute-Marne-Meuse) pourrait prendre une nouvelle tournure avec la prochaine décision du tribunal de grande instance de Nanterre. Le 5 janvier, la justice examinait l’assignation en responsabilité pour faute déposée par six associations [^2] contre l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. L’Andra aurait escamoté des données prouvant que le sous-sol du site retenu pour enfouir des déchets radioactifs à 500 mètres de profondeur, et pendant des siècles, recelait un potentiel géothermique de qualité. Cette information, si elle avait été connue en 2006 lors du vote de la loi autorisant ce mode de stockage, aurait remis le projet en cause. Après une phase de laboratoire, le projet prévoit désormais la construction d’un Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) pour accueillir des matières irradiées issues de toutes les centrales françaises. Sujet particulièrement chaud : en juin dernier, la loi de transition énergétique a fait une tentative pour imposer le Cigéo, vite avortée sous la pression des écologistes, lesquels viennent d’obtenir, début décembre, le retrait d’un article similaire subrepticement glissé dans la loi Macron « pour la croissance ». Au cœur de la bataille, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui préconise que le site soit choisi « de façon à éviter des zones pouvant présenter un intérêt exceptionnel en termes de ressources souterraines ». Non seulement pour ne pas contrecarrer leur exploitation, mais aussi pour prévenir un accident de forage ultérieur, en cas de « perte de mémoire de l’existence du stockage  […], raisonnablement située au-delà de cinq cents ans », selon la Règle fondamentale de sûreté de l’ASN. Or, le potentiel géothermique du site est connu depuis le milieu des années 1970. En 2002, des spécialistes du sous-sol portent à la connaissance des opposants des documents qui le prouvent. Associations, riverains, élus locaux réclament un forage test. Il leur sera refusé jusqu’en 2008… soit après le vote de la loi autorisant les grandes manœuvres à Bure.

La vérification pratiquée pour le compte de l’Andra confirme bien l’existence d’eau chaude à près de 2 000 mètres de profondeur, mais le rapport conclut opportunément à un « faible potentiel » géothermique. Pugnaces, les experts décortiquent les données techniques du test et y découvrent plusieurs anomalies importantes. Selon le géologue Antoine Godinot, l’interprétation des données de l’Andra permettrait même de conclure à un potentiel supérieur à celui du Bassin parisien, où les forages géothermiques peuvent chauffer des surfaces équivalentes à quelque 180 000 logements. La qualité de la ressource a depuis été confirmée par des organismes comme le Bureau de recherche géologique et minière (BRGM) ou le cabinet indépendant Geowatt (Suisse), dans une étude réalisée il y a un an à la demande du Comité local d’information et de suivi (Clis) de Bure [^3].

Pour les opposants, l’Andra a menti pour imposer l’enfouissement sur le site, et ils attendent que la faute soit reconnue. Pour sa part, l’agence s’en tient aux conclusions de son test de 2008 : la ressource « n’est pas exceptionnelle.  […] Par ailleurs, il est tout à fait possible de réaliser des projets de géothermie profonde dans la région en dehors de l’installation souterraine de Cigéo, qui serait implantée, si elle est autorisée, dans une zone de 30 km2. Par précaution, l’Andra a tout de même envisagé que l’on puisse exploiter le sous-sol au niveau du stockage et qu’une intrusion puisse avoir lieu. Les analyses ont montré que, même dans ce cas, le stockage conserverait de bonnes capacités de confinement [^4] ». En d’autres termes, un petit arrangement avec la Règle fondamentale de sûreté.

[^2]: Notamment le réseau Sortir du nucléaire (www.sortirdunucleaire.org).

[^3]: Les Clis, imposés par la loi à proximité de tous les sites nucléaires, sont composés d’élus, de syndicalistes, de représentants d’associations et de personnes qualifiées.

[^4]: www.andra.fr, communiqué du 6 novembre 2013.

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