Pérou : Hugo Blanco, de la terre à la Terre

Militant paysan, ancien leader trotskiste, Hugo Blanco Galdos a lutté durant sa jeunesse pour une réforme agraire. À 80 ans, il mène un nouveau combat, écologique cette fois.

Amanda Chaparro  • 8 janvier 2015 abonné·es
Pérou : Hugo Blanco, de la terre à la Terre
© Photo : Amanda Chaparro

Il a passé huit années de sa vie en prison pour ses activités militantes, a frôlé la mort un bon nombre de fois et a été exilé à plusieurs reprises : au Mexique, en Argentine, au Chili ou encore en Suède. Mais, à 80 ans, Hugo Blanco est toujours là. Il nous attend assis sur les marches de l’escalier qui mène à l’appartement de sa fille, à Cuzco. Malgré la pluie battante au dehors, il porte son éternel chapeau de paille et ses ojotas, des sandales ouvertes typiques du paysan andin.

Fils d’un avocat et d’une petite propriétaire terrienne, Hugo Blanco n’était pas spécialement destiné à devenir le leader de la première – et la plus ambitieuse – réforme agraire du pays, dans la région de Cuzco, aux cris de « la terre ou la mort ». Il raconte. «   Un épisode marquant a bouleversé mon enfance. Vers 6 ou 7 ans, j’ai appris qu’un travailleur agricole indigène s’était fait marquer la fesse au fer rouge, sous l’ordre de Bartolomé Paz, grand propriétaire de la région. Cette nouvelle m’a révolté, je m’identifiais aux indigènes », confesse celui qui parle quechua et travaille dans l’hacienda de sa mère, aux côtés des paysans indiens. C’est en Argentine, où il étudie l’agronomie, que le jeune homme fait ses premières classes politiques et se rapproche des milieux trotskistes. À son retour au Pérou, à la fin des années 1950, il s’engage dans le Parti ouvrier révolutionnaire (POR), mais il se sent plus proche des paysans que des ouvriers. «   C’est eux l’avant-garde, c’est d’eux que doit partir la révolution.   » À l’époque, les paysans travaillent pour des salaires de misère, parfois en situation de quasi-esclavage, pour des hacendados (grands propriétaires terriens) qui accaparent 80 % des terres les plus fertiles du pays. Une structure agraire héritée de l’époque coloniale, qui, dans les années 1960, est au bord de l’implosion. Des foyers de révolte éclatent dans le centre du pays. Hugo Blanco s’y rend et entre dans le syndicat des paysans de Chaupimayo, dans la province de la Convención, du département de Cusco. « Je ressentais l’injustice de cette structure sociale. Le racisme, les mauvais traitements, les viols étaient monnaie courante dans les haciendas. » En 1962, il devient secrétaire général de la fédération des travailleurs paysans du département. Une grève dure s’installe. Au départ, la révolte vise à dénoncer les abus, elle va se concentrer bientôt sur le droit à la terre, après quatre siècles de confiscation. La répression est violente, et Hugo Blanco est désigné pour organiser l’autodéfense armée. Il est fait prisonnier en mai 1963. «   Cette révolte nous a coûté des prisonniers, des morts, mais nous avons réussi à faire en sorte que la terre appartienne à ceux qui la travaillent.   » Car le mouvement est tel que le gouvernement répond aux demandes du syndicat et proclame enfin une première réforme agraire régionale.

Jugé, Hugo Blanco évite la peine de mort de peu, grâce à une campagne internationale à laquelle participent Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. Il est condamné à 25 ans de prison, il en fera 7. Quand, en 1970, une militante du Parti communiste lui propose de le faire sortir de prison s’il accepte de collaborer à la réforme agraire du gouvernement Velasco (président militaire arrivé au pouvoir par un coup d’Etat deux ans plus tôt), il décline. « Je ne voulais pas me compromettre. Je voulais mener la réforme sans trahir les demandes des paysans. Velasco leur a certes rendu des milliers d’hectares, mais il a fait une réforme incomplète. Il a créé des méga-coopératives dont ne voulaient pas les paysans. » Il sera finalement exilé. Lorsqu’il rentre au Pérou dans les années 1980, Hugo Blanco est un leader reconnu et respecté. Il devient député, puis sénateur du Parti révolutionnaire des travailleurs (PRT), mais, depuis, il a pris ses distances avec les partis politiques ; pour lui, l’important est de militer dans les mouvements sociaux. Il met à présent toute son énergie dans la défense de l’environnement et des droits des populations indigènes.

Il y a quelques années, un journal a titré « Hugo Blanco est passé de la lutte pour la terre à la lutte pour la Terre ». Il approuve : «   Le plus grand défi actuel est le réchauffement climatique. Avant, je luttais contre l’oppression, aujourd’hui je lutte pour la survie de l’espèce humaine. » Comment un tel glissement a-t-il pu s’opérer ? «   C’est le développement du capitalisme qui m’a conduit à cela. Si la classe ouvrière luttait pour ne pas être dépossédée de sa plus-value, aujourd’hui, les gens, et en particulier les indigènes, doivent se battre pour la vie.   » Pour résumer sa conception de la révolution, Hugo Blanco reprend une formule zapatiste : «   Il ne s’agit pas de prendre le pouvoir, mais de le construire.   Et cela peut se faire de mille manières. Ce sont les ouvriers qui prennent les usines en Argentine, c’est celui qui distribue des semences qui récolte des produits bio.   » De son héritage trotskiste, le militant écologiste garde la conviction que la lutte doit être menée internationalement. Il veut faire de son journal, Lucha Indigena, créé il y a huit ans, un organe de lutte dans le monde entier. À 80 printemps, Hugo Blanco n’est pas près d’arrêter la militance. « Hasta la muerte », jure-t-il.

Écologie
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