« Soumission », de Michel Houellebecq : La conversion pour les nuls

Dans *Soumission,* Michel Houellebecq imagine l’arrivée au pouvoir d’un parti musulman en France. Affligeant à tous points de vue.

Christophe Kantcheff  • 15 janvier 2015
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« Soumission », de Michel Houellebecq : La conversion pour les nuls
Soumission , Michel Houellebecq, Flammarion, 300 p., 21 euros.
© AFP PHOTO / DOMINIQUE FAGET

«C’est vrai, dans l’ensemble, les musulmans, c’est pas terrible… » Cette citation de Michel Houellebecq n’est pas extraite de son dernier livre, Soumission, mais de Plateforme, publié à l’automne 2001. Il faut immédiatement préciser que cette phrase est émise par le personnage principal et narrateur de ce roman. On ne contestera pas ici, pour l’avoir défendue à plusieurs reprises, la nécessaire distinction entre ce que pensent personnages et narrateur d’un roman et son auteur. Cependant, au même moment, Michel Houellebecq déclarait dans un entretien retentissant au magazine Lire que l’islam était « la religion la plus con ». Ce qui réduisait considérablement toute éventuelle interrogation sur ce qu’il pense à ce sujet.

En fallait-il davantage pour révéler l’islamophobie de Houellebecq ? Pour certains, dont plusieurs journalistes qui n’ont pas compté leur peine à le soutenir depuis une quinzaine d’années, mais qui aujourd’hui trouvent qu’il met de « l’huile sur le feu », il fallait ce nouveau roman, que l’auteur a décidé de ne plus promouvoir depuis l’attentat contre Charlie Hebdo – les médias s’en sont bien chargés avant sa parution. Soumission n’est pourtant qu’un nouvel avatar, peu différent des précédents, de la triste production littéraire houellebecquienne. On y retrouve un narrateur et personnage principal, spécialiste de Huysmans, qui cultive la haine de soi et surtout celle des autres, des descriptions de la société moderne en pleine décrépitude morale, quelques séquences sexuelles majoritairement dépressives, et les « prophéties » habituelles sur la fin de la civilisation des Lumières et sur celle de « l’Occident ». Dans Soumission, Houellebecq projette son lecteur dans le futur – ce qu’il avait déjà fait dans la Possibilité d’une île  (2005). Cette fois-ci, nous sommes en 2022, année électorale qui se solde par la victoire de Mohammed Ben Abbes, leader du parti islamique la Fraternité musulmane, face à Marine Le Pen, les candidats du PS et de l’UMP n’ayant pas atteint le second tour. Arrivé au pouvoir, le nouveau Président compose un gouvernement d’ « union nationale », avec François Bayrou pour Premier ministre, et fait appliquer une politique islamiste apparemment soft mais qui, en profondeur, entraîne la France « vers un nouveau modèle de société » .

Là encore, l’imagination du « grantécrivain » Houellebecq – mantra que certains continuent à entonner sans beaucoup plus d’arguments – apparaît bien chétive. Envisager la victoire politique d’un parti musulman en France n’a rien d’un récit d’anticipation original. D’autres l’ont fait avant lui, hors du champ littéraire, qu’il s’agisse de l’essayiste britannique Gisèle Littman-Orebi, dite Bat Ye’or, ou Renaud Camus, avec sa théorie du « grand remplacement », reprise par les journalistes Éric Zemmour ou Ivan Rioufol. Voilà qui place Houellebecq en plaisante compagnie quant à ses sources d’inspiration. Mais il convient de s’arrêter sur ce point, car il est essentiel : et si l’intention de l’auteur de Soumission était autre que de participer à la propagation de sinistres fantasmes ? Et si, au contraire, il cherchait à les démonter ? On nous dira à juste titre que les intentions comptent peu. Houellebecq lui-même va répétant qu’il est « neutre », « sans a priori » – ce qui témoigne pour le moins d’une naïveté confondante –, et que son roman sera « sans effet » – ce qui en dit long sur sa conception de la responsabilité littéraire. Mais qu’importe : faisons un instant ce crédit à Houellebecq que, par le biais de la fiction, il ait voulu déconstruire, en les menant jusqu’à l’absurde, ces théories prospectives délirantes et racistes. C’est précisément là que la question littéraire, et seulement elle, intervient dans le raisonnement. C’est à l’aune de la langue mise en œuvre et de sa capacité à mettre à distance le réel présenté, de l’architecture du récit et des possibles que celui-ci suggère, et du jeu opéré sur les clichés, les lieux communs et les idées dominantes, que se déduit le sens politique de Soumission. Or, de ces qualités littéraires, ce roman de Michel Houellebecq, comme ceux qui ont précédé, est totalement dénué. Soumission est un chef-d’œuvre de littéralité. Il s’appuie sur une thèse qu’il déroule aveuglément comme une idée fixe : l’Europe individualiste court à sa perte et se fait damer le pion par une religion vigoureuse. Le narrateur se lance ainsi dans des considérations romantico-nostalgiques sur Huysmans et sur sa conversion au catholicisme, qui, à la fin du XIXe siècle, était encore possible. Il déploie, par l’intermédiaire de personnages prétextes, tout un argumentaire, au fil de longues pages laborieuses, sur les circonstances de l’émergence d’un parti musulman et de sa réussite. Et finit par se laisser séduire, sans mal tant son âme est misérable ( « l’humanité me dégoûtait » ), par les avantages que lui offre le nouveau régime : la reconnaissance sociale, qui a des allures de revanche, et les plaisirs de la polygamie – faut-il souligner ici le machisme sans nom des écrits de Michel Houellebecq ?

Soumission est un roman clos, univoque, refermé sur lui-même, une œuvre sourde et sans relief. Les seules ambiguïtés que contient ce texte portent sur quelques jeux de mots incertains. Comme celui que lance le narrateur à sa petite amie Myriam, qui, face aux événements, lui annonce son départ pour Israël. « Il n’y a pas d’Israël pour moi », lui répond-il. Au royaume de la littéralité, cette phrase a mauvaise odeur. Un jour, Michel Houellebecq s’est attribué un destin littéraire. Il a choisi la voix de l’apocalypse. Rien de mieux, pour se donner une contenance, que d’annoncer le désastre. Encore faut-il en avoir l’envergure. Houellebecq est un Nietzsche d’appartement, un Cioran d’opérette. « Pour tenir le coup, a-t-il déclaré [^2], je me suis souvent répété cette phrase de Schopenhauer : “La première – et pratiquement la seule – condition d’un bon style, c’est d’avoir quelque chose à dire” ». Au fond, il aurait mieux valu pour tout le monde que ce « quelque chose à dire », Michel Houellebecq s’en tienne à l’exprimer au comptoir des bistrots.

[^2]: Dans Interventions, Flammarion, 1998.

Littérature
Temps de lecture : 6 minutes
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