Blocage administratif, c’est parti !

Christine Tréguier  • 12 février 2015
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Illustration - Blocage administratif, c'est parti !

Cela doit faire une bonne vingtaine d’année que le sujet revient régulièrement sur la table. Et si, lorsque des sites transgressent les lois, on évitait de perdre du temps en passant par des tribunaux encombrés et on demandait directement aux fournisseurs d’accès Internet de les censurer ? A chaque fois les défenseurs des libertés argumentent, expliquent que cette forme de censure n’a rien de démocratique, quelques députés éclairés (le plus souvent de gauche) s’opposent et on en revient au recours à une procédure judiciaire contradictoire avant de bloquer l’accès à un quelconque contenu. Jusqu’à la fois suivante…

Le gouvernement Sarkozy avait, en 2011, réussi à introduire cette procédure de censure administrative dans la Loppsi 2. Elle devait être strictement réservée aux sites pédo-pornographiques et n’a jamais été mise en œuvre, le décret n’ayant pas été publié. Mais c’est désormais chose faite. Le décret publié par le ministère de l’Intérieur, le 6 février, couvre les sites visés par la Loppsi 2, mais aussi ceux incitant à des actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, comme mentionné dans la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme de novembre 2014. L’autorité administrative à la manœuvre y est précisée : ce sera l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC), succursale de la direction générale de la police nationale. Ses agents seront chargés de repérer les sites, de contacter leurs éditeurs ou hébergeurs pour en exiger la suppression. Faute de réponse sous 24 heures, ils transmettront aux fournisseurs d’accès Internet (FAI) les noms de domaine pour qu’ils en bloquent l’accès et redirigent les internautes vers une page d’information du ministère de l’Intérieur, laquelle indiquera les motifs du filtrage et les voies de recours. Le texte précise que la liste sera adressée aux fournisseurs d’accès à Internet « selon un mode de transmission sécurisé, qui en garantira la confidentialité et l’intégrité » . Autrement dit discrétion, voire secret, sur les décisions de l’OCLCTIC. Pour parer aux accusations d’arbitraire, il est prévu qu’une personnalité qualifiée désignée par la CNIL suive les procédures. Elle devrait, semble-t-il, être en mesure de saisir la justice en cas de blocage abusif, mais le décret lui-même est imprécis quant au périmètre et aux moyens de son action. Tous les trois mois, l’OCLCTIC devra s’assurer que les contenus enfreignant la loi ne sont plus en ligne, et, si c’est le cas, ordonner le déblocage du site dans les 24 heures. Les FAI quant à eux seront indemnisés des « éventuels surcoûts résultant de [ces] obligations » .

La question n’est évidemment pas de défendre ce type de contenus, mais de ne pas tomber dans la facilité, pour simplement donner l’impression qu’on agit. Ce type de blocage est notoirement contournable. Et il n’y a pas que les défenseurs des libertés qui le disent. C’est écrit noir sur blanc dans l’avis de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) que s’est procuré Next INpact : « Si cette solution est relativement simple à mettre en œuvre, elle peut également présenter des risques de contournement. » L’Autorité estime donc ambiguë la formulation de l’obligation des FAI, supposés empêcher « par tout moyen approprié l’accès ou le transfert aux services fournis par ces adresses » . **« Il ne serait ni raisonnable ni proportionné* , précise-t-elle, d’exiger des FAI qu’ils garantissent l’impossibilité pour des internautes ayant recours à des méthodes de contournement d’accéder aux services fournis par les adresses électroniques concernées. » Elle évoque également les « possibles effets secondaires non souhaités de tout blocage qui ne se limiterait pas strictement à ce qui est requis » . Des arguments en tout point identiques à ceux émis par la Quadrature du Net : « Le blocage est inefficace car facilement contournable. Il est aussi disproportionné, du fait du risque du surblocage de contenus parfaitement licites, d’ailleurs accru par la technique de blocage retenue par le gouvernement. Ce dispositif ne sert qu’à donner l’illusion que l’État agit pour notre sécurité, tout en mettant un peu plus à mal la protection des droits sur Internet. »
Le collectif annonce d’ores et déjà qu’il saisira le Conseil d’Etat pour obtenir l’anulation du décret. Un autre décret est également dans le collimateur : celui qui obligerait les moteurs de recherche à déréférencer les sites figurant sur les listes noires de l’OCLCTIC et qui a été transmis pour avis à la Commission européenne.

{{Sur le Web }} [Le décret publié au JO->http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000030195477&dateTexte=&categorieLien=id] [ L'article de Next INpact->http://www.nextinpact.com/news/92978-la-france-active-blocage-sites-sans-juge-une-premiere.htm] [ Le communiqué de la QDN->http://www.laquadrature.net/fr/la-france-persiste-et-signe-la-censure-administrative-du-net]
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