JT : Pas si sacrée, la grand-messe

Journaliste à Arte, William Irigoyen porte un regard critique et éclairé sur les journaux télé, leur forme et leur contenu.

Jean-Claude Renard  • 5 février 2015 abonné·es
JT : Pas si sacrée, la grand-messe
© **Jeter le JT** , William Irigoyen, éd. François Bourin, 234 p., 14 euros. Photo : Arte

Voilà un pavé dans la mare. D’abord reporter à France Télévisions, puis présentateur du JT d’Arte avant de prendre les manettes d’« Arte reportage », William Irigoyen signe, avec Jeter le JT, un essai qui remet à plat le sacro-saint journal télévisé. Il y dénonce le poids des mots et le choc des images, le mélo et l’émotion au programme, le traitement ultra-bref des sujets, un traitement qui met plus l’accent sur le spectaculaire que sur l’information. L’auteur décrit une télévision devenue une « arène » plutôt qu’un lieu de confrontation intellectuelle, « la prétention des chaînes à dire le monde en s’y confrontant le moins possible », une recherche d’audience qui « interdirait à la télévision de penser par elle-même », le conservatisme dans le choix des invités et l’absence de pluralisme. La coupe est pleine. Et juste. Mais la critique contient en elle-même ses remèdes pour renouveler le JT.

À propos de la fabrication d’un JT, vous citez beaucoup Pierre Bourdieu, notamment sur les rapports entre la vitesse et l’information…

William Irigoyen : On peut exécuter dans la vitesse ; penser dans la vitesse, ce n’est pas la même chose. La télévision, aujourd’hui, n’est plus un outil pédagogique de réflexion sur le monde. De fait, les écoles de journalisme forment des exécutants susceptibles de « balancer l’info » le plus vite possible. Ils sont les vecteurs d’une actualité, et c’est à cette aune qu’ils sont mesurés, non pas à la pertinence de leur information, qui pourrait nourrir le débat.

À quoi tient la volonté de toujours prolonger le direct ?

Le direct, c’est la force émotionnelle. On vous demande de regarder des images fortes, qui n’ont plus besoin de commentaires. C’est un traitement qui se suffit à lui-même. Finalement, toutes les aspérités, comme le commentaire ou la critique, sont gommées. Or, toutes les images méritent de passer à la moulinette intellectuelle. L’image, c’est comme un tableau : il y a un plan, un arrière-plan et un hors-cadre. La télé ignore le hors-cadre, elle se limite au plan et manque de points de vue.

Quel regard portez-vous sur le traitement médiatique des attentats à Paris, puis sur les élections législatives en Grèce ?

C’était à celui qui suivrait le plus les CRS, à celui qui aurait pu coller une caméra sur le casque d’un homme du Raid ! Le traitement des attentats a été un spectacle, comme si la volonté du téléspectateur était de voir la fusillade en direct : on présuppose qu’il est âpre au sang. Ce n’est même plus du journalisme. Dans ces circonstances, j’aurais préféré savoir quel était le parcours des tueurs, comment ils ont évolué, pourquoi et comment. Pour les élections grecques, on n’a rien expliqué, sinon parlé du côté « beau gosse » d’Alexis Tsipras. Mais quid de la troïka, de sa responsabilité, des responsabilités grecques jusqu’à présent, quid de la situation réelle du pays ? On nous a seulement dit que, si Tsipras gagnait, ce serait un grand danger ! Ou alors on nous raconte que son parti a reçu l’onction de Marine Le Pen ! Sans rien expliquer, ce qui consolide le cliché. En gros : l’économie grecque patauge dans la moussaka, mais ne cherchons pas à comprendre pourquoi Alexis Tsipras est passé de 4 à 38 % en si peu de temps, comment il a gagné en crédibilité. On n’a pas eu de décodage, mais une conception ethnocentrique. On a pourtant besoin de complexités à décrypter. À la place, on a des « expertologues » tous les soirs, qui pensent la même chose, qui se sont souvent trompés, alors qu’il en existe d’autres, avec d’autres positions, mais qui ne sont pas invités sur les plateaux parce qu’on estime leur discours justement trop complexe ! Finalement, tout niveler est une démarche politique : c’est signifier qu’on laisse aller le monde tel quel, sans réfléchir.

Vous prônez une réforme du JT. Vous y croyez réellement ?

Une réforme du JT sur le fond et la forme est possible. La presse écrite, qu’on dit moribonde, en donne des exemples. Si des journaux comme Politis existent encore, c’est qu’il y a la place pour appréhender le monde et faire de l’info autrement. Il faut savoir combien de divisions veulent changer les choses et y croire.

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