Jusqu’où iront les frondeurs ?

Entre les nombreuses abstentions aux projets de lois, l’opposition à la loi Macron, 
mais le rejet de la motion de censure, les frondeurs sont arrivés aux limites de leur stratégie.

Michel Soudais  • 26 février 2015 abonné·es
Jusqu’où iront les frondeurs ?
© Photo : CITIZENSIDE / AURÉLIEN MORISSARD / AFP

Cela ne fait pas tout à fait un an qu’ils existent. Et pourtant, depuis leur apparition, au lendemain de la bérézina électorale des municipales, ceux que l’on appelle les « frondeurs » socialistes se sont affirmés. Jusqu’à contraindre le gouvernement à dégainer l’article 49-3 pour faire passer le projet de loi d’Emmanuel Macron. Terrible image que celle d’un pouvoir lâché par sa majorité et contraint de recourir à un expédient qu’il fustigeait dans l’opposition.
En 2006, François Hollande, alors premier secrétaire du PS, voyait dans cette facilité constitutionnelle, qui permet de faire passer un projet de loi sans vote de ­l’Assemblée, une « violation des droits du Parlement » et un « déni de démocratie ». En 2008, lors de la discussion sur la réforme constitutionnelle de Nicolas Sarkozy, Manuel Valls avait préconisé, dans un amendement déposé au nom du groupe PS, d’en limiter drastiquement le recours afin de le réserver à l’examen des projets de loi de finances et de financement de la Sécurité sociale.


Ce n’est pas le moindre des mérites des frondeurs d’avoir ainsi fait la démonstration publique que l’exécutif, sur le terrain de la démocratie, avait des convictions aussi versatiles que la détermination qu’il affichait dans l’opposition à combattre la finance, les politiques d’austérité ou les remises en cause de la protection sociale. Au démarrage de la fronde socialiste, un appel signé de 82 parlementaires, « l’Appel des cent », publié le 4 avril 2014, réclamait que le gouvernement de Manuel Valls, nouvellement nommé, s’engage sur « un contrat de majorité » qui permette à « la représentation nationale  […] de participer aux nouvelles orientations ». Une exigence, aux yeux des signataires, en réponse à la déception des électeurs qui venait de se manifester dans les urnes aux municipales.
Or, non seulement le gouvernement n’a tenu aucun compte des demandes des signataires ( « réorientation européenne », concentration des moyens publics sur la création d’emplois, « mesures en faveur des bas salaires, réforme fiscale et CSG progressive »… ), mais il a considéré ces parlementaires comme quantité négligeable. Onze téméraires qui osent s’abstenir lors du vote de confiance sur le premier gouvernement de Manuel Valls, le 8 avril, n’était pas de nature à inquiéter l’exécutif. Pas plus que les 41 abstentions (un record à ce jour) enregistrées lors du vote sur le programme de stabilité pour 2014-2017, trois semaines plus tard…
C’est que dans leur opposition aux orientations du gouvernement qui tournaient le plus ostensiblement le dos aux engagements de 2012, les frondeurs se sont toujours gardés de sortir des clous, permettant à Manuel Valls de faire passer ses textes avec une majorité relative. Critiques en séance et dans les médias, ils s’en sont en effet tenus jusqu’à la semaine dernière à une abstention boudeuse [^2], motivée par deux soucis. Ne pas s’exclure d’eux-mêmes du groupe des députés socialistes pour continuer à y mener le débat ; cela n’a pas empêché Bruno Le Roux, le président du groupe, entre autres représailles, de déplacer ceux qui siégeaient au sein de la commission des Affaires sociales vers des commissions moins sensibles. Et ne pas se couper des militants afin de les impliquer dans la bataille sur l’orientation politique du gouvernement, et ce en structurant un courant autour de leurs positions pour un « congrès de clarification »  : c’est l’objet de Vive la gauche, lancé fin août à La Rochelle.


En basculant dans une opposition résolue au projet de loi Macron, les frondeurs ont fait un pas supplémentaire dans la dissidence. Avant de caler sur le vote de la motion de censure, aucun d’entre eux ne souhaitant faire tomber le gouvernement. « Mon problème n’est pas de changer le Premier ministre — c’est l’affaire du Président –, mais de faire changer la ligne politique du gouvernement », déclarait le député de Paris, Pascal Cherki. En conservant Manuel Valls ? Discutable, l’idée montre les limites de la stratégie des frondeurs. Lesquels imaginent encore pouvoir réorienter le quinquennat de l’intérieur de la famille socialiste. Dimanche, le Premier ministre a paru convaincu d’avoir « sifflé la fin de la récréation ». Mercredi, il avait prévu de lancer une réforme du dialogue social dans l’entreprise, malgré l’absence d’accord patronat-syndicats. Avec l’objectif d’avancer vers ce que son entourage appelle « un nouvel ordre social ». Quitte à forcer à nouveau la main des socialistes récalcitrants…


[^2]: 35 abstentions sur le projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale pour 2014 ; 29 sur la déclaration de politique générale du gouvernement Valls-2 ; 39 sur le projet de loi de programmation des finances publiques 2014-2019 ; 37 sur la partie recettes du projet de loi de finances pour 2015 ; 35 sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2015.

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