L’heure de vérité pour l’Europe

Alors que l’asphyxie financière se profile, les nouveaux dirigeants grecs poursuivent leur tournée européenne pour convaincre d’une renégociation.

Thierry Brun  • 5 février 2015 abonné·es
L’heure de vérité pour l’Europe
© Photo : AFP PHOTO/ PEDRO ARMESTRE

Désormais ministre des Finances, Yanis Varoufakis, l’économiste pourfendeur de la troïka (Banque centrale européenne, Commission européenne et Fonds monétaire international) et Alexis Tsipras, chef du gouvernement grec, sont engagés dans une course contre la montre. Tous deux ont entamé lundi une tournée européenne avec des arguments censés mettre un terme aux programmes d’austérité mis en place par la troïka, qui réunit les principaux créanciers de la Grèce. De Chypre, qui a fait l’objet d’un plan d’aide international en échange de mesures d’austérité pour éviter la faillite, le nouveau Premier ministre a attaqué, affirmant que la fin de sa mainmise sur le plan de sauvetage de son pays constituerait une avancée « mature et nécessaire à l’Europe » .

Le parti antilibéral espagnol est parvenu à mobiliser samedi 31 janvier entre 100 000 (selon la police) et 300 000 personnes (selon les organisateurs). Venues de tout le pays, elles se sont rassemblées dans le centre de Madrid, à quelques mètres de là où les Indignados (dont est directement issu Podemos, qui signifie en espagnol « Nous pouvons », comme Syriza en grec) avaient occupé l’espace public en 2011. Pablo Iglesias, le jeune leader de Podemos (36 ans), a été acclamé place de la Puerta del Sol. Le poing levé, entrecoupant régulièrement son discours contre la finance, la corruption, l’austérité et les diktats de la troïka du slogan vivement repris par la foule « Si, se puede ! » (« Mais si, on peut ! »), il a fustigé l’establishment, cette « caste » qui a laissé le peuple dans une situation « d’humiliation et d’appauvrissement ».

Une accusation qui fait mouche dans ce pays où plus de 20 % de la population active n’a pas de travail. Après avoir surpris en recueillant 1,2 million de suffrages aux dernières élections européennes et obtenu cinq sièges, Podemos serait aujourd’hui, selon tous les sondages, devant le Parti socialiste (et parfois même le Parti populaire, la droite au pouvoir). À la veille d’une année électorale chargée, avec des municipales et des régionales entre mars et l’été, et surtout des législatives en novembre, Podemos voulait, six jours seulement après la victoire de Syriza, profiter de l’élan athénien. « Tic-tac, tic-tac, c’est l’heure du changement ! », pouvait-on lire samedi sur certains calicots à Madrid.

La Grèce veut revoir ces programmes qui ont mené le pays au désastre [^2] et défendre un « new deal européen » préconisant l’effacement d’une partie de sa dette publique, estimée à 324 milliards d’euros par le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Les dirigeants grecs défendent aussi un vaste programme de relance (réembauche de fonctionnaires, hausse du salaire minimum, aide aux ménages pauvres) et la fin des privatisations, dont celle de l’emblématique port du Pirée. « Notre objectif est de mettre fin à la triple crise que nous vivons en Grèce, qui concerne la dette, les banques et l’environnement déflationniste qui handicape le secteur privé », a assuré Yanis Varoufakis à Paris, lors de la première étape de sa tournée. Et Athènes prendra conseil auprès de la banque franco-américaine Lazard, dont le vice-président pour l’Europe, Matthieu Pigasse, a plaidé publiquement en faveur d’un effacement de 100 milliards d’euros de cette dette. Le pays a reçu des appuis de poids dans cette démarche, dont celui du Président américain Barack Obama, qui a estimé qu’on « ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression », et des prix Nobel d’économie Paul Krugman et Joseph Stiglitz. Les propositions grecques ont cependant été fraîchement accueillies. Tout en promettant l’aide de la France, le ministre des Finances, Michel Sapin, s’est opposé à un effacement de la dette, s’alignant sur les déclarations de la chancelière allemande, Angela Merkel. Le président du Parlement européen, l’Allemand Martin Schulz, a de son côté jugé « irresponsable » l’attitude d’Athènes qui veut en finir avec la troïka. À Londres, lors d’une rencontre avec Yanis Varoufakis, le ministre britannique des Finances, George Osborne, a estimé que les désaccords sur la Grèce représentaient « la plus grande menace pour l’économie mondiale » .

Au-delà des déclarations menaçantes, les bailleurs devront décider du versement ou non des 7,2 milliards d’euros du plan d’aide qui arrive à échéance à la fin du mois. La BCE a prévenu qu’elle ne pourrait continuer à prêter si ce programme restait sans suite, ce qui entraînerait l’asphyxie financière de la Grèce et un défaut massif sur sa dette. Il « est parfaitement possible, en accord avec la BCE, de mettre en place les liquidités nécessaires, comme cela a tant de fois été fait par le passé, pas seulement pour la Grèce », assure Yanis Varoufakis, qui souhaite qu’un accord global sur la situation financière du pays soit trouvé d’ici à la « fin du mois de mai ». Devant cette perspective proche, les bailleurs devront donc rapidement se mettre autour de la table des négociations à l’issue de la tournée européenne des dirigeants grecs.

[^2]: Lire « Grèce : l’enjeu d’un allégement de la dette », sur le blog de Thierry Brun (Politis.fr).

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