Penser les migrations autrement

Un colloque organisé le 9 décembre à Paris a été l’occasion d’une réflexion critique sur les politiques migratoires.

Lou-Eve Popper  • 5 février 2015 abonné·es

S’il faut sensibiliser sur le plan des valeurs, il faut aussi, pour gagner la bataille de l’opinion, répondre aux nombreux fantasmes liés au poids supposé de l’immigration en Europe. C’était l’un des objectifs du colloque qui s’est tenu à Paris le 9 décembre à l’initiative de la députée Front de gauche Marie-Christine Vergiat. Chercheuse associée à l’Institut national d’études démographiques (Ined), Marianne Blidon s’est employée à cette démystification en s’appuyant sur l’étude de ses collègues David Lessault et Cris Beauchemin consacrée aux migrations subsahariennes [^2]. La chercheuse a montré que l’idée d’une invasion étrangère était une invention des extrêmes droites européennes. En effet, l’Europe est loin d’être la destination principale des migrants subsahariens, puisque 70 % des émigrés ouest-africains restent en Afrique. Seuls 12 % d’entre eux se dirigent vers l’Europe et 6 % vont en Amérique du Nord. Cette prédominance des flux migratoires intracontinentaux est pourtant peu relayée par les discours politiques et médiatiques.

La question du retour des migrants vers leur pays d’origine est, elle aussi, peu évoquée. Pourtant, qu’il s’agisse des migrations intercontinentales ou des migrations vers l’Europe, l’étude montre que beaucoup de migrants repartent dans leur pays. En moyenne, ils restent seulement cinq ans [^3] sur le territoire où ils ont émigré. Pour François Gemme, chercheur en sciences politiques, spécialiste des mouvements migratoires, la plus grande faillite morale de la classe politique est de ne pas admettre que « les flux migratoires sont une réalité structurelle du monde et aussi un droit fondamental de chaque individu ». « Il est vain d’imaginer que les politiques puissent maîtriser les flux migratoires, a-t-il souligné. Si nous persistons à vouloir contrôler les flux, le seul résultat sera la création de pauvreté, de précarité et surtout de drames humains. » Et de conclure : « Vingt mille personnes sont mortes en Méditerranée depuis les années 2000, et nous portons la responsabilité de ces morts. Nos politiques migratoires sont des politiques criminelles. » Un diagnostic terrible mais, hélas, réaliste.

[^2]: « Ni invasion ni exode : regards statistiques sur les migrations d’Afrique subsaharienne », David Lessault et Cris Beauchemin, Revue européenne des migrations internationales, vol. 25, n° 1, 2009.

[^3]: Perspectives des migrations internationales 2014, OCDE.

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Europe : L'heure de vérité
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