Le nucléaire en panne d’avenir

Le sinistre économique d’Areva, géant français de l’atome, est révélateur des importantes difficultés qu’affronte une filière en déclin mondial.

Patrick Piro  • 12 mars 2015 abonné·es
Le nucléaire en panne d’avenir
© Photo : AFP PHOTO / CHARLY TRIBALLEAU

La catastrophe industrielle était annoncée, mais « c’est plus dramatique encore que ce que nous pouvions imaginer », s’étonne le député EELV Denis Baupin, rapporteur en mai dernier d’une commission d’enquête sur le coût de la filière nucléaire. Mercredi 4 mars, Areva a confirmé une perte colossale de 4,8 milliards d’euros en 2014. Le géant français de l’atome – 40 000 salariés dans une trentaine de pays – paye les erreurs d’une stratégie d’expansion. Le groupe numéro un mondial dans certains secteurs (de l’extraction du minerai à la construction de réacteurs, de la maintenance des installations au retraitement du combustible irradié) a acquis en 2007, pour 1,8 milliard d’euros, la société minière canadienne Uramin, laquelle s’est révélée quasiment dépourvue d’actifs. Les déboires de l’EPR sont une autre source de pertes abyssales pour Areva. À Olkiluoto (Finlande), premier chantier pour ce réacteur « nouvelle génération », la date de mise en service a glissé de 2009 à 2016, et le budget a bondi de 3 à 8,5 milliards d’euros. Idem pour l’EPR de Flamanville (Manche), qui ne sera pas raccordé avant 2017, soit cinq ans de retard. Modèle trop gros [^2], trop complexe, trop cher. Quatre EPR seulement sont en construction dans le monde. Fin 2009, c’est l’échec du « contrat du siècle ». Un consortium français voit s’échapper un contrat de 20,4 milliards de dollars à Abu Dhabi.

Pire encore, la quasi-faillite d’Areva découle de l’incertitude générale qui pèse sur le nucléaire mondial, et qui ressemble, par bien des signes, à une crise d’obsolescence. La catastrophe de Fukushima a contribué au coup d’arrêt des commandes de réacteurs. Fin 2014, on comptait 65 chantiers en cours, une stagnation depuis 2011, et un marché confiné pour les deux tiers à la Chine, à l’Inde et à la Russie. Avec la fermeture sine die de tous les réacteurs japonais, la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité est tombée au-dessous de 11 %. Cependant, le recul s’était dessiné bien avant l’accident japonais du 11 mars 2011. Le nombre des mises en construction annuelles a culminé en 1979, avec 186 réacteurs engagés. Depuis 2002, le parc mondial s’est stabilisé autour de 400 unités, et la contribution du nucléaire s’affaisse régulièrement depuis 1996, année de son apogée, avec 17,6 % de la production d’électricité mondiale.

L’industrie nucléaire a semblé chaque fois se relever des trois catastrophes majeures qu’elle a traversées – Three Mile Island (États-Unis, 1979), Tchernobyl (URSS, 1986) et Fukushima (Japon, 2011). Cependant, elles l’ont durablement affectée en alourdissant ses coûts. En raison d’exigences de sûreté accrues et de commandes limitées à de petites séries, chaque nouvelle génération de réacteur s’est avérée plus onéreuse, une singularité dans le monde des technologies. L’EPR n’a pas dérogé à cette règle empirique. À Hinkley Point, où le Royaume-Uni a signé mi-2014 pour la construction de deux EPR [^3], le montant des investissements a conduit l’État à garantir un tarif d’achat de l’électricité de 120 euros le mégawattheure, deux fois plus que la moyenne actuelle du parc français, et largement concurrencé par l’éolien terrestre, bientôt par le solaire. Un soutien déguisé au nucléaire, dénoncent des associations, qui ont décidé d’attaquer le contrat auprès de la Commission européenne.

Les coûts de maintenance des centrales grimpent aussi en flèche, conséquence de Fukushima et de leur vieillissement. En Allemagne, aux États-Unis ou en Suède, des exploitants ferment des réacteurs, devenus non rentables. En France, où le parc est âgé en moyenne de 25 ans, l’opération « Grand Carénage » dont rêve EDF (une remise en forme pour prolonger la vie des réacteurs d’une à trois décennies) coûterait 110 milliards d’euros, selon la Cour des comptes, deux fois plus que le montant calculé par l’électricien. Et sans compter les milliards d’euros d’aléas difficilement chiffrables : quelle facture pour le démantèlement futur des installations, le traitement ultime des déchets radioactifs, voire des défaillances telles que la fissuration des cuves en inox des réacteurs, composant impossible à remplacer ? En Belgique, où deux réacteurs sont arrêtés pour cette raison, l’Autorité de sûreté nucléaire estime que cette fragilisation de l’acier pourrait être due à l’irradiation intense qu’il subit. Auquel cas, les quelque 400 réacteurs en service dans le monde seraient potentiellement concernés.

[^2]: 1 650 mégawatts, le plus puissant au monde.

[^3]: Il en faudrait huit de plus pour qu’Areva atteigne, avant 2016, son objectif d’exportation réaffirmé en 2012.

Écologie
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