Tunisie : Fragile symbole

Ce que les jihadistes veulent tuer, avec l’attentat du Bardo, c’est un compromis laïque unique dans le monde arabe.

Denis Sieffert  • 26 mars 2015 abonné·es
Tunisie : Fragile symbole
© Photo : Michael Bunel / NurPhoto / AFP

Que reste-t-il des révolutions arabes ? Réponse : la Tunisie. L’Égypte est redevenue une dictature militaire, plus épouvantable encore que sous Moubarak. La Syrie est broyée par un étau monstrueux entre le régime de Bachar Al-Assad et Daech. À Bahreïn, le soulèvement a été réprimé par l’armée saoudienne. La révolte yéménite de 2011 vire aujourd’hui à l’affrontement entre Al-Qaïda et Daech. Quant à la Libye, elle sombre dans le chaos. Il y a donc bien une singularité tunisienne qui suffit à expliquer l’attentat du musée du Bardo, le 18 mars à Tunis, dont le bilan est de 21 morts. Un attentat revendiqué par Daech, qui exploite la désespérance économique et sociale dont est principalement victime la jeunesse. Mais ce que ne peuvent accepter les mouvements jihadistes, c’est l’évolution politique du pays.

La Tunisie n’est pas revenue en arrière. Elle n’a cédé ni aux nostalgiques de Ben Ali ni aux pressions des salafistes. La société tunisienne a imposé un compromis démocratique. Le principal parti islamiste, Ennahdha, proche des Frères musulmans et vainqueur des élections de 2011, a ensuite accepté de s’effacer. Il a surtout participé à l’élaboration de la Constitution de février 2014, qui affirme dans un même mouvement que l’islam est la religion de la Tunisie et que le « caractère civil » de l’État est « basé sur la citoyenneté, la volonté du peuple et la primauté du droit ». C’est ce compromis laïque que Daech et les salafistes ultras veulent anéantir. Pour cela, ils veulent semer la terreur, en particulier parmi les touristes, parce que le tourisme représente la principale ressource du pays.

Ruiner encore un peu plus le pays, c’est la certitude à terme de la remise en cause des acquis démocratiques. Car le compromis politique qui a été trouvé entre laïques et islamistes sera évidemment fragile tant que la misère continuera de frapper une jeunesse plongée dans un chômage massif. Ce qui explique que la Tunisie soit un gros pourvoyeur de jihadistes – environ 3 000 – en Syrie, en Irak et en Libye. Et les autorités assurent avoir empêché le départ de quelque 9 000 candidats au jihad. Selon un responsable de l’ONG Center for Humanitarian Dialogue, les jeunes Tunisiens répondent parfois à l’appel du jihad au Moyen-Orient « dans une optique de promotion sociale, parce que l’idée circule qu’il procure un standard de vie meilleur ». Les pays occidentaux peuvent évidemment apporter leur soutien à la jeune démocratie tunisienne, notamment en effaçant la dette publique ou en acceptant un moratoire. Nous verrons dans les prochains jours si on va plus loin que les déclarations de façade. L’enjeu est considérable, et il ne concerne pas seulement la Tunisie, mais tout le monde arabe.

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