Une victoire pour la neutralité du net

Christine Tréguier  • 4 mars 2015
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Illustration - Une victoire pour la neutralité du net

La Federal Communications Commission (FCC) vient de délivrer un épais rapport technique de 300 pages étayant sa décision de faire d’internet un « bien public », au même titre que les réseaux téléphoniques. Elle peut de ce fait garantir que ce bien public soit le même pour tous, autrement dit que la fameuse « neutralité du net » soit respectée, et interdir aux propriétaires des tuyaux de ralentir, bloquer ou donner la priorité à un quelconque contenu. Internet doit rester ce qu’il a toujours été, un réseau où tout le monde peut accéder à tout, et où toutes les données circulent à la même vitesse et sont traitées sans discrimination. Cette décision, si elle n’est pas remise en cause, met fin à des années de bras de fer entre opérateurs de télécoms, soutenus par les républicains qui souhaitent surtaxer les contenus gourmands en bande passante, et gros fournisseurs de contenus comme Google, YouTube, Netflix ou Apple qui estiment payer déjà suffisamment cher.

La bataille était pourtant loin d’être gagnée. L’an dernier, une première décision de la FCC en faveur de la neutralité avait été torpillée par une décision de justice, suite aux procès intentés par Verizon et Comscast, deux des principaux opérateurs américains. En mai 2014, des fuites avaient révélé que la FCC se préparait à rendre publique une proposition de règlement autorisant un internet à deux vitesses : voie rapide pour les plus riches, voie lente pour les autres. Des activistes s’étaient alors donné rendez-vous sur son pas de porte pour une occupation spontanée. Médiatisée, celle-ci avait amené le comédien-animateur John Oliver à traiter le sujet sur HBO dans une émission qui avait fait un carton. Il y incitait les internautes à répondre à la consultation publique ouverte par la FCC. Résultat : le site de la Commission avait récolté 3,7 millions de commentaires dont 99% demandaient un strict encadrement de la neutralité. En novembre dernier, Barack Obama lui-même avait interpellé Tom Wheeler, le président de la FCC : « J’exhorte la FCC à faire tout ce qui est en son pouvoir pour protéger la neutralité du net… les fournisseurs d’internet ont une obligation légale à ne pas limiter ou bloquer votre accès à un site web… et ils ne peuvent accepter qu’une entreprise paye pour avoir la priorité sur ses concurrents. » Reprenant la proposition des associations il suggérait de faire des fournisseurs internet des « common carrier » ( Titre II de la loi sur la Communication), comme les opérateurs d’électricité ou de téléphone, ce qui les soumet à la fourniture d’un accès identique pour tous et à la régulation de la FCC. C’est ce qui vient d’être acté, à 3 voix contre 2 par la FCC.
Qualifiée d’historique et appplaudie par les partisans de la neutralité, la décision est brocardée par ses détracteurs. Verizon s’est empressé de publier un communiqué… en morse complété par quelques phrases écrites dans une typographie façon vieille machine Underwood évoquant des régles des années trente qui « ont été écrites à l’époque de la locomotive à vapeur et du télégraphe ». Les républicains parlent d’ObamaNet et reprochent au gouvernement son interventionisme dans un secteur qui devrait être laissé au marché. Les opérateurs parlent d’attaquer à nouveau ce règlement, tandis que les représentants républicains ont soumis au Congrès un projet de loi qui priverait la FCC de tout pouvoir et la placerait sous la coupe du parlement.
En France, les opérateurs n’ont guère commenté l’avancée américaine. On sait que le Conseil national du numérique y est favorable . Il avait rendu un avis en mars dernier où il souhaitait que la neutralité des réseaux soit érigée en un « principe fondamental à valeur quasi constitutionnelle ». Sébastien Soriano le nouveau président de l’ARCEP, l’autorité en charge des télécoms, interrogé par La Tribune, estime quant à lui que « la neutralité du Net est une valeur cardinale des réseaux » qu’il faut défendre et qu’ « il faut veiller à ce que des citoyens, des blogueurs, des startups ou des sites de médias ne soient pas empêchés d’accéder à Internet dans les mêmes conditions que des majors, des géants du Net qui auraient des moyens considérables pour bénéficier d’un traitement de faveur ». La bataille n’est pas finie et il s’écoulera encore bien du temps avant que ce principe ne soit gravé dans le marbre de la loi et des directives européennes.

Sur le web [Etape décisive pour la neutralité de net aux Etats Unis ->http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/02/26/etape-decisive-pour-la-neutralite-du-net-aux-etats-unis_4583490_4408996.html ]
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