100 % d’ENR en 2050 ?

Selon l’Ademe, le scénario 100 % énergies renouvelables ne coûterait pas plus cher.

Jean Gadrey  • 23 avril 2015 abonné·es

Le gros rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), un établissement public, « Vers un mix électrique 100 % renouvelable en 2050  », a fait grand bruit. C’est bien parce que nous sommes en France que cette perspective, adoptée depuis longtemps dans d’autres pays, a été présentée comme « un séisme ». C’est avant tout le « camouflet pour le nucléaire » qui a été retenu. Et, dans le pays le plus nucléarisé du monde, avec ses « nucléocrates » encore très influents, c’est en effet un événement, que nos dirigeants se sont efforcés sans succès de censurer ou de retarder. Il y a pourtant dans ce rapport d’autres sujets de réflexion… et de critiques possibles.

L’accueil de la plupart des associations écologistes (comme Greenpeace) a été enthousiaste, à commencer par celles des plus anti-nucléaires. L’Ademe n’emprunte pas les arguments pourtant essentiels des risques humains liés au nucléaire, mais elle appuie là où ça fait mal. Dans une société dominée par l’économie et la finance : le scénario 100 % énergies renouvelables (ENR) en 2050 ne coûterait pas plus cher pour produire de l’électricité que celui prévoyant de maintenir 60 % pour l’atome. Et encore, certains coûts futurs liés au nucléaire n’ont-ils pas été pris en compte. L’association négaWatt, avec son bataillon d’experts de l’énergie, est à l’origine depuis des années de prospectives de grande qualité, fondées elles aussi sur la montée en puissance des ENR et la sortie assez rapide du nucléaire, mais avec un accent bien plus marqué sur la sobriété. À l’occasion du rapport de l’Ademe, l’association a salué une « étape importante », annonçant qu’elle produirait ultérieurement une analyse plus poussée. Les critiques sont venues principalement du lobby du nucléaire. D’autres objections peuvent toutefois être soulevées. En voici deux, parmi d’autres.

La première porte sur les perspectives de la consommation d’énergie électrique d’ici à 2050, elle-même assujettie pour partie aux consommation et production « globales », donc à la croissance économique. Dans le rapport, il est mentionné que ces hypothèses globales renvoient à une étude de l’Ademe de 2014 : « Visions 2030-2050 ». On y découvre que « le scénario s’appuie sur des hypothèses de croissance forte » (1,8 % par an), jugées compatibles avec “le facteur 4”, soit “une croissance robuste et durable”. Ai-je besoin d’émettre des doutes ? La croissance verte est un mythe scientiste, apparemment entretenu par l’Ademe.

La deuxième objection, liée à la précédente, concerne une sorte de foi inébranlable dans des technologies vertes à coût décroissant. Qu’il s’agisse de la production des ENR, des véhicules électriques ou de techniques de chauffage. Il est permis d’en douter, si l’on suit aussi bien les analyses de Philippe Bihouix sur la raréfaction et le coût croissant de la plupart des minerais clés de la croissance verte, que les constats, allant dans le même sens, du remarquable nouveau rapport du Club de Rome : « Le grand pillage » [^2]. Mais il faut croire que même la croissance verte est un « séisme » en France. Il est vrai que, pour l’instant, nos dirigeants semblent pratiquer la stagnation polluante. Prenons en tout cas le rapport de l’Ademe comme une avancée, à prolonger par des débats contradictoires et constructifs.

[^2]: Institut Veblen/Les Petits Matins.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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