Renseignement : la guerre perdue d’avance du gendarme Cazeneuve

Le projet de loi sur le renseignement mitonné par le ministre Cazeneuve entre tout à fait dans le processus d’autodestruction du vieux monde. Un passage presque obligé, rituel, vers le « monde d’après », au moins aussi pathétique et ridicule que dangereux.

Le Yéti  • 7 avril 2015
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Renseignement : la guerre perdue d’avance du gendarme Cazeneuve
Le gendarme contre les réseaux sociaux

De tous temps, la fuite en avant vers l’autoritarisme policier et les lois d’exceptions a été le stade ultime des empires finissants. Et plus aucune lettre adressée par des citoyens courroucés aux « traîtres de la République » pour qu’ils s’amendent n’y peut plus rien.

Mettre en fiches et sous contrôle policier tout et n’importe quel citoyen est une sorte de réflexe de Pavlov suicidaire des pouvoirs ébranlés. Une méthode Coué pour se donner l’illusion de contrôler une situation qui précisément leur échappe totalement.

Faut-il rappeler que ce sont les mêmes zélés pandores qui se sont révélés incapables d’arraisonner les brebis galeuses qu’ils avaient pourtant dûment fichés : Mohammed Merah, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly…

Faut-il rappeler le précédent hilarant d’Hadopi qui prétendait interdire la libre circulation et le partage non-marchand de documents audiovisuels ? Le bilan de l’opération, qui avait aussi alarmé en son temps les défenseurs des libertés, vaut son pesant de rigolade :

La première guerre civile mondiale

Le véritable objectif du projet de loi sur le renseignement n’est pas tant de surveiller les faits et gestes des citoyens — ça, il y a longtemps que c’est fait, et bien avant la révolution numérique (essayez donc d’échapper au fisc ou aux banques) — mais d’empêcher la diffusion et le partage à grande échelle d’idées considérées comme subversives.

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Le pire n’est pas toujours possible : lors du dernier week-end pascal, la Turquie a une nouvelle fois fermé les principaux réseaux sociaux ; mais lors de la fois précédente, le nombre de tweets émis après fermeture fut supérieur à ce qu’il était avant ! Explication : dans les pays sans liberté d’expression, la population a vite appris à contourner techniquement la censure (grâce par exemple à un petit outil très précieux : le VPN).

Le gros problème des gendarmes de la Toile, c’est qu’ils sont totalement dépassés par le monde numérique auquel ils s’attaquent . En vérité, comme le notait le blogueur Lionel Dricot, ils n’y comprennent rien, n’en maîtrisent ni les valeurs propres, ni l’intelligence analytique. L’offensive contre les réseaux sociaux — « la première guerre civile mondiale », titre Lionel Dricot — est une guerre perdue d’avance1.

« L’ancienne génération n’a pas adopté la culture numérique. Elle s’est contentée de manipuler aveuglément les outils sans les comprendre, en une parodie désespérée du culte du cargo.

Cet épisode illustre la totale incompréhension du monde moderne dont fait preuve la classe dirigeante. Un monde qu’elle pense diriger mais qui échappe à son contrôle. Se drapant dans la ridicule autorité de son ignorance, elle déclare ouvertement la guerre aux citoyens du monde entier. »

Pas de neutralité possible

On serait presque porté à rire de cette situation grotesque tant celle-ci relève de la panique et de la caricature, entre le père Ubu et la plus lamentable des defunèsteries.

Mais comment ne pas pressentir les terribles dégâts que pourrait causer, avant de sombrer dans l’océan de sa propre bêtise, ce rouleau-compresseur absurde qui nous mène à nouveau vers les pires extrémités du totalitarisme. D’autant que celui-ci s’installe dans l’indifférence quasi générale des foules, conscientes de la chute, mais hébétées par ce qui leur arrive.

Notre rire s’étrangle, ne reste que notre mépris. « Il n’y a pas de neutralité possible », écrit Lionel Dricot, « nous sommes en guerre. »

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur

[Lire > Une loi « dangereuse pour l’État de droit »](/alias/30640)


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