Yemen : Islamisme, tribalisme et question sociale

La guerre civile n’est pas qu’un conflit par procuration entre l’Iran et l’Arabie saoudite.

Politis  • 9 avril 2015 abonné·es
Yemen : Islamisme, tribalisme et question sociale
© Photo : Mohammed Hamoud / Anadolu Agency / AFP

L’affrontement de plus en plus meurtrier entre les rebelles chiites houthis soutenus par l’Iran et les forces de la coalition conduites par l’Arabie saoudite s’est déplacé ces derniers jours vers Aden, la grande ville du sud. Les rebelles, qui se sont emparés en octobre 2014 de la capitale, Sanaa, au nord, ont progressé depuis plusieurs semaines vers le sud, avec pour objectif la pointe sud-ouest de la péninsule arabique, passage obligé des tankers en direction du canal de Suez. Ils ont pris, le 5 avril, le siège de l’administration provinciale. Mais le conflit a changé de nature, depuis le 26 mars, avec l’intervention d’une large coalition arabe et pakistanaise, conduite par l’Arabie saoudite et l’Égypte. L’aviation saoudienne a multiplié les bavures, tuant de nombreux civils. Comme le soulignent la plupart des commentateurs, l’affrontement est un conflit par procuration entre deux grandes capitales, Ryad et Téhéran, qui prétendent l’une et l’autre au leadership régional. Au moment où les cartes risquent d’être rebattues par l’accord-cadre sur le nucléaire iranien, l’Arabie saoudite redoute l’expansionnisme iranien.

Mais ce n’est pas que cela. Cette grille de lecture se superpose à d’autres réalités, tribales, religieuses et sociales. Les chiites estiment avoir été marginalisés socialement et politiquement depuis la réunification du pays, en 1990. Ils s’opposent au pouvoir du président Abd Rabbo Mansour Hadi, contraint de se réfugier en Arabie saoudite. Cependant, le pays est traversé par d’autres conflits, y compris au sein de la population sunnite majoritaire. Depuis plusieurs années, l’apparition d’Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) correspond à une radicalisation anti-occidentale.

L’influence du tribalisme et des antagonismes confessionnels ne doit pas faire oublier qu’une partie de la jeunesse avait dépassé ces oppositions traditionnelles lors du mouvement révolutionnaire de 2011 et 2012. Un mouvement, chiites et sunnites confondus, qui avait clairement mis en avant des revendications démocratiques et sociales, et combattu la corruption du régime. Si la révolte avait obtenu le départ du président Ali Abdallah Saleh, en place depuis 32 ans, elle avait aussi été marquée par plusieurs massacres organisés par le pouvoir, qui avaient fait plus de 2 000 morts. Cette révolte, dans un contexte de révolutions arabes, s’était achevée sur un compromis politique. Mais le non-règlement de la question démocratique, et surtout l’absence de progrès social dans l’un des pays les plus pauvres du monde, a remis au premier plan le pouvoir des milices et le tribalisme que la révolution avait, un moment, transcendé.

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