Capital contre travail

La loi Macron fait du travail une marchandise comme une autre.

Dominique Plihon  • 7 mai 2015 abonné·es

La stratégie d’Emmanuel Macron, ministre de l’Économie, étoile montante de l’oligarchie politico-financière, est claire : la réindustrialisation de la France passe par la mise en place d’une nouvelle démocratie actionnariale [^2]. Le développement industriel requiert un « capitalisme de long terme » favorable aux entreprises et à l’investissement grâce à des financements adéquats, dont la finance actionnariale doit être le principal vecteur. Trois leviers, selon Emmanuel Macron, doivent être mobilisés pour développer l’actionnariat et assurer le rebond industriel français.

En premier lieu, il faut inciter les Français à investir dans les entreprises, notamment par le biais de l’actionnariat salarié et par une fiscalité et une réglementation plus favorables aux actionnaires. Deuxièmement, remobiliser les investisseurs vers le financement de l’économie, par exemple en orientant les fonds des caisses de retraite vers la détention d’actions françaises, ce qui est un signal clair pour la promotion des fonds de pension et du financement des retraites par capitalisation. Enfin, il s’agit de promouvoir l’actionnariat de long terme, propice au financement des entreprises, en attribuant un droit de vote double aux actionnaires conservant leurs titres au moins deux ans. Selon Emmanuel Macron, ces mesures permettront l’émergence d’un nouveau capitalisme financier [^3], condition sine qua non d’un nouvel essor de l’économie française. Cette vision, qui sous-tend la politique du gouvernement Hollande, repose sur une erreur tragique de diagnostic. La chute spectaculaire de plus de 20 % de l’investissement des entreprises françaises depuis le début de la crise ne provient pas de l’insuffisance de leurs ressources financières. La cause principale de cet effondrement industriel est la faiblesse des débouchés des entreprises, liée à un environnement économique déprimé par les politiques d’austérité budgétaire et salariale menées en France et dans l’Union européenne. Mais la stratégie du gouvernement comporte une seconde contradiction majeure. L’un des objectifs de la loi Macron, supposée « libérer l’activité », est de « flexibiliser » le marché du travail. La philosophie social-libérale qui sous-tend cette réforme fait du travail une marchandise comme une autre. Le contrat de travail est considéré comme une simple relation de gré à gré, « librement consentie » entre l’employeur et le salarié, qui devra être régie par le code civil, ce qui permet d’alléger la protection des salariés garantie par le code du travail. Ainsi, la réforme de la justice du travail contenue dans la loi Macron aboutit à donner un poids accru aux juges professionnels au détriment des juges prud’homaux.

Ici réside la seconde contradiction : le capitalisme dont rêve Emmanuel Macron fait des relations de long terme entre actionnaires et entreprises la condition du « rebond industriel », mais transforme les salariés en acteurs précarisés, plus faciles à licencier. Le contraire d’une relation de long terme entre les entreprises et les travailleurs, principale source de création de richesse pour la société !

[^2]: « Retrouver l’esprit industriel du capitalisme », Emmanuel Macron, le Monde, 25 avril.

[^3]: Cf. le Nouveau Capitalisme , Dominique Plihon (La Découverte, 2009).

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