Gilbert Achcar : Retour sur la question religieuse

Gilbert Achcar convoque Karl Marx pour analyser l’islamisme.

Denis Sieffert  • 28 mai 2015 abonné·es

Tous ceux qui ne comprennent rien à la question religieuse, tous ceux qui croient qu’il faut être violemment antireligieux pour être vraiment athée, et ceux qui se croient « marxistes » en insultant les croyants devraient lire le livre de Gilbert Achcar ! Spécialiste du monde arabe, celui-ci nous propose à point nommé une lecture rigoureuse de Marx sur ces questions aujourd’hui si passionnelles quand il s’agit de l’islam. « Si l’on veut que le peuple se débarrasse de toute illusion sur son état, écrit Achcar en citant Marx, il faut changer fondamentalement son état réel en un état qui n’a plus besoin d’illusions. » Autrement dit, c’est à la question sociale, au sens large du terme, qu’il faut s’attaquer, et rien ne sert de vitupérer l’idée religieuse, surtout quand cette offensive idéologique vise à absoudre les politiques antisociales ou à nous en détourner. « La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre », résumait superbement Marx.

S’appuyant sur cette analyse, Achcar montre comment, au gré de l’histoire, l’islam puis l’islamisme sont devenus des instruments de résistance au colonialisme. Mais aussi comment l’anticolonialisme islamique est devenu un anti-occidentalisme, et bientôt, par glissements successifs, hostilité à tout ce qui n’est pas islam radical. On comprend ici le contresens de l’islamophobie, même à supposer qu’elle ne soit pas le masque d’un racisme anti-arabe mais un combat sincère pour déprendre des populations de la religion. On en revient toujours à l’antagonisme entre idéalisme et matérialisme. Mais Achcar met aussi en garde son lecteur contre une islamophilie qui puise au fond dans le même creuset que l’islamophobie, c’est-à-dire dans un orientalisme essentialisé, comme si le progressisme n’avait pas, dans le monde arabe, d’autre voie qu’islamiste. C’est une chose de constater que l’islamisme radical s’est nourri de la lutte anticoloniale, c’en est une autre d’affirmer qu’il est (ou peut être) intrinsèquement progressiste. À ne pas confondre avec la possibilité d’un  « islam progressiste arabe », idée à laquelle Achcar dit souscrire. Dans cette critique contre ce qu’il nomme « l’orientalisme à rebours », il égratigne – et même un peu plus – des spécialistes aussi éminents qu’Olivier Roy ou François Burgat. Ce qui mériterait un autre débat. Ce à quoi on peut souscrire, en tout cas, c’est à l’idée qu’il n’y a pas de fatalité islamiste, ni même de fatalité religieuse, dans le monde arabe. L’islamisme est un produit de l’histoire qui a pu se parer du masque de la résistance la plus extrême, et aujourd’hui monstrueuse, aux convoitises occidentales, ou soviétiques en Afghanistan. Un processus qui est passé par l’élimination des gauches arabes, à laquelle les puissances occidentales ont largement contribué.

Idées
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