Jean-Félix Bernard : « J’ai des doutes sérieux sur les pots catalytiques »

Selon le président d’Airparif, certaines mesures à portée climatique – réglementations et labels verts – contribuent en réalité à la dégradation de la qualité de l’air.

Patrick Piro  • 20 mai 2015 abonné·es
Jean-Félix Bernard : « J’ai des doutes sérieux sur les pots catalytiques »
Jean-Félix Bernard a présidé le Conseil national de l’air de 1998 à 2004. Il est également président d’Airparif depuis décembre 2012, mais s’exprime ici à titre personnel.
© AFP PHOTO / LIONEL BONAVENTURE

Diesel et chauffage au bois : fortement émettrices de particules fines, ces deux sources d’énergie sont, selon Jean-Félix Bernard, les plus dangereuses pour notre santé.

Si la voiture n’est pas la seule source d’émissions polluantes dans l’atmosphère, elle est régulièrement accusée en première ligne. À raison ?

Jean-Félix Bernard : Il faut reconnaître les progrès très importants enregistrés par le secteur industriel. En trente ans, on a vu reculer ou disparaître le charbon ; dans les chaufferies, le fioul a laissé la place au gaz ; on traite les fumées ; les émissions de dioxines des incinérateurs ont régressé. De même avec les carburants, largement débarrassés du plomb ou du soufre, qui suscitaient couramment des alertes il y a vingt ans. En milieu urbain, le problème se concentre aujourd’hui sur les particules fines émises pas les moteurs diesel.

Les pots catalytiques sur les modèles récents n’améliorent-ils pas la situation ?

C’est ce que les constructeurs prétendent ! En 1998, à la suite de l’inauguration de la circulation alternée l’année précédente, on introduisait la pastille verte pour en exonérer les véhicules neufs, dont les diesels munis d’un pot catalytique, supposé traiter le problème. Aujourd’hui, ces mêmes véhicules sont devenus de « vieux diesels » montrés du doigt pour leurs émissions, et même les fabricants en conviennent ! Aussi, j’ai des doutes sérieux sur l’impact de la nouvelle norme européenne, Euro 6, qui abaisse encore les plafonds d’émissions autorisées. Comme à chaque fois, on nous promet monts et merveilles avec les nouveaux pots. Or, il y a un vrai débat. C’est le même problème qu’avec les consommations de carburant : en circulation réelle, on ne parvient presque jamais aux performances annoncées par les constructeurs en laboratoire. Ainsi, les bancs de test ne disent rien des recompositions secondaires possibles, par exemple à un mètre du pot, au bout d’une heure, avec un gaz d’échappement qui sort à 200 °C. Mis en contact, les oxydes d’azote automobiles et l’ammoniac émis par l’agriculture produisent du nitrate d’ammonium, qui est une particule fine… Par ailleurs, si les pots visent le filtrage des particules PM10 et PM2,5 [^2], que mesure la norme européenne, on commence seulement à étudier les PM1, plus fines, et qui pénètrent encore plus profondément dans les alvéoles pulmonaires.

L’augmentation de la circulation n’est-elle pas en cause sur les niveaux d’émission ?

Le trafic a peu augmenté, il est pratiquement stabilisé désormais. Et l’offre de transports en commun a augmenté. En revanche, la nouveauté, c’est la poussée des motorisations diesel, sous l’impulsion des politiques publiques. Au prétexte de réduire les émissions de CO2, le Grenelle de l’environnement a favorisé en 2007 les achats de voitures diesel, dont Peugeot est un spécialiste [^3]. Conséquence des aides d’État et d’une fiscalité réduite sur le fioul, le diesel représente aujourd’hui près de 70 % du parc automobile en France, une singularité mondiale. À Paris, alors que les efforts pour réduire la circulation automobile auraient dû se traduire par une baisse des particules fines, les travaux d’Airparif ont montré le contraire.

L’utilisation du bois pour le chauffage, en hausse, est également incriminée…

Comme avec le diesel, les pouvoirs publics ont insisté sur le gain d’émissions de CO2, dont certains lobbys veulent nous convaincre que la qualité de l’air en bénéficiera. Mais, là encore, nous constatons des effets contre-performants. Tous les organismes de surveillance de l’air, en France mais aussi ailleurs en Europe, constatent un accroissement des particules fines émises par la combustion du bois. La faute à des foyers insuffisamment efficaces. Le label « Flamme verte » apposé sur les chaudières et les poêles est attribué par le fabricant lui-même ! Sans parler de la nature du bois que l’on brûle, souvent de piètre qualité.

Lors des pics de pollution, certains s’opposent aux mesures d’urgence, expliquant que c’est d’abord la pollution de fond qui pose problème…

Ce sont les mêmes qui aimeraient que l’on en fasse le moins possible. Il faut agir avec la même détermination dans les deux cas, parce que l’objectif sanitaire impose à la fois d’éviter les épisodes d’accumulation des polluants dans l’atmosphère et de tendre vers une exposition moyenne minimum du public.

[^2]: Particules (PM : particulate matter en anglais) au diamètre respectivement inférieur à 10 et 2,5 microns.

[^3]: À trajet égal, ces moteurs sont un peu moins consommateurs d’énergie que les moteurs à essence.

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