Kerviel : et maintenant ?

Suite au témoignage de l’enquêtrice Nathalie Le Roy, plusieurs politiques demandent la réouverture du procès de Jérôme Kerviel. La présidente du Syndicat de la Magistrature invite à garder la tête froide.

Pauline Graulle  • 19 mai 2015
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Kerviel : et maintenant ?
© Photo: Jerôme Kerviel et son avocat David Koubbi au tribunal de Versailles, le 17 septembre 2014. AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK

Les politiques se mobilisent. Hier, lors d’une conférence de presse organisée à la débottée, Jean-Luc Mélenchon qualifiait l’affaire Kerviel d’ « affaire d’Etat » où tout, « d’un bout à l’autre et à toutes les étapes, n’est que magouilles » . Dans un autre style, Eva Joly, eurodéputée EELV, estimait dans une interview au JDD que « la justice s’honorerait si le procureur général ou la ministre de la Justice » demandait la révision du procès Kerviel-Société Générale.

_ Aujourd’hui, plusieurs députés, de gauche et de droite, expriment de même, dans Mediapart, leur souhait de « tout reprendre à zéro » dans l’affaire Kerviel.
« Il faut vérifier quelle a été l’influence de la Société générale sur le pouvoir politique, estime ainsi le vice-président du groupe socialiste à l’Assemblée, Yann Galut. J’ai l’impression que les ministres des Finances se sont laissé influencer par la Société générale qui s’est posée en seule victime. […] Il faut absolument qu’on puisse déterminer s’il n’y a pas eu des pressions, s’il n’y a pas eu des contre-vérités avancées. Et notamment en vertu de quelles garanties le ministère de l’Economie et des finances a octroyé 2,2 milliards d’euros de ristourne fiscale à la société générale pour combler ses pertes. »

_ Alors qu’une instruction, ouverte à la demande de Jérôme Kerviel et menée par le juge Robert Le Loire, est en cours pour déterminer s’il y a eu « escroquerie au jugement » pendant le procès, son avocat, David Koubbi, a indiqué hier qu’il entendait obtenir l’annulation de la condamnation pénale de l’ex-trader et un nouveau procès en révision.

Mais est-ce possible ? Et souhaitable ?

Politis a demandé son avis à Françoise Martres, présidente du Syndicat de la Magistrature.

Illustration - Kerviel : et maintenant ? - Françoise Martres (ALAIN JOCARD / AFP)

Politis : Un procès en révision est-il possible ?
Françoise Martres : Si la condamnation de Jérôme Kerviel sur le plan pénal est définitive (il a été condamné à trois ans d’emprisonnement), en revanche, le volet civil ne l’est pas : la Cour de Cassation a en en effet cassé la condamnation de Jérôme Kerviel à payer 4,9 milliards de dommages et intérêts au motif que la victime (la Société Générale) avait participé à son propre dommage. La Cour a reconnu que la banque avait commis des « fautes » ayant « concouru au développement de la fraude et à ses conséquences financières » , et a renvoyé le jugement devant la cour d’Appel de Versailles. Sur le plan pénal, on peut théoriquement revenir sur une condamnation et rouvrir le procès. Mais il me semble que demander cela maintenant est prématuré.
L’enquête du juge Le Loire [dans le cadre de laquelle la policière Nathalie Le Roy a été entendue, NDLR] doit d’abord suivre son cours. Ce sont ses conclusions qui diront s’il y a eu « escroquerie au jugement », c’est-à-dire si le procès s’est fait dans les règles ou si la Société Générale a tenté délibérément de tromper le juge. Si c’est le cas, alors oui, un procès en révision pourra s’ouvrir.
Quel peut être le rôle de Christiane Taubira dans cette affaire ?
Comme le procureur ou le plaignant, elle peut saisir la Cour de révision qui examine les demandes en révision. En l’occurrence, je crois que la ministre a été sollicitée, et qu’elle a rejeté cette éventualité. La question est de savoir si l’audition de cette policière est un élément suffisant pour ré-ouvrir ce procès. Même si avec ce nouveau témoignage, Jérôme Kerviel engrange un certain nombre d’éléments qui questionnent sur le rôle de la Société générale, il me semble important que l’instruction ouverte sur les faits d’escroquerie au jugement, sur la plainte de Jérôme Kerviel, aille jusqu’à son terme et que le juge d’instruction puisse la mener en toute indépendance. C’est ce qui permettra de savoir s’il y a eu des manipulations ou pas.


Il semble qu’il y ait un hiatus entre le tourbillon médiatique qui entoure cette affaire et le monde judiciaire…
Les médias semblent avoir pris fait et cause pour Jérôme Kerviel. En effet, et je dis cela en observatrice extérieure qui n’a pas eu accès aux dossiers, dans cette affaire, on peut dire qu’il y a eu une version officielle selon laquelle le trader avait agi seul dans le dos de la banque, mais que le rôle exact de celle-ci a toujours posé question. Pour autant, est-ce que la justice a vraiment dysfonctionné dans cette affaire ? Est-ce que le Parquet a subi des pressions d’ordre politique ? C’est possible, cela s’est déjà vu, et dans ce genre d’affaires, la justice doit exploiter toutes les pistes car il y a toujours un risque que l’enquête soit faite trop vite ou que les gens soient mal défendus. Néanmoins, rappelons-nous que le juge Van Ruymbeke, qu’on ne peut accuser d’être poreux aux pressions du monde de la finance, a instruit le procès pendant un temps… Il faut absolument que cette affaire aille jusqu’au bout : cela nécessite des investigations complexes, il faut que la justice fasse bien les choses et qu’elle démontre son indépendance.

Société Police / Justice
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