Ode à l’enfance

La Reine du silence suit une gamine sourde passionnée de danse dans un campement de Roms.

Alice Deroide  • 13 mai 2015 abonné·es
Ode à l’enfance
La Reine du silence , vendredi 22 mai, à 23 h 20, sur Arte (55’).

« Je tournais depuis un an lorsque Denisa est arrivée. À partir de là, il a été impossible de filmer qui que ce soit d’autre. » En voyant la Reine du silence, on comprend la réalisatrice Agnieszka Zwiefka. Denisa, on le saisit dès les premières images, est singulière et charismatique. Sourde et muette, la fillette communique par gestes, mais surtout avec son visage, qui s’éclaire ou se ferme au gré de ses sentiments. Un jour, elle déniche le DVD d’une comédie musicale de Bollywood au fond d’une poubelle.

Coup de cœur pour Denisa : elle dansera désormais partout et tout le temps, plutôt que d’aider au ménage ou de faire la manche. Quand elle danse, Denisa nous fascine par sa grâce un peu étrange, parfois burlesque. Les autres enfants l’appellent « la folle », « l’idiote ». Des mots qui ne l’atteignent pas, elle continue de bouger, de tourner, de sourire, pour finalement entraîner les autres dans sa ronde silencieuse. Drôle de film que nous propose ici Agnieszka Zwiefka, à mi-chemin entre le documentaire et la comédie musicale. Les séquences descriptives montrent la dureté de la vie de cette communauté de quatre-vingts Roms en Pologne, qui doivent mendier chaque jour, affronter les contrôles de police, et qui vivent sous la menace d’une expulsion. Grâce à une immersion de trois ans, la réalisatrice a pu capter des instants forts de sens, comme ce moment où le camp est incendié par des habitants de la ville, apparemment peu enclins à coexister avec Denisa et ses semblables. Puis, au détour d’un plan, les images de grisaille se colorent pour laisser la place à des séquences musicales aux couleurs vives et au rythme entraînant. On est alors dans le monde du rêve, où Denisa est reine.

C’est la force de ce documentaire que de faire cohabiter ces deux univers, sans que la fantaisie des passages chorégraphiés n’altère la frontalité de ceux qui sont plus réalistes. Les images communiquent avec justesse la légèreté de l’enfance comme la rudesse de la misère. On est presque frustré de ne pas en savoir plus sur le parcours des habitants de ce camp. Le film en dévoile peu, exception faite d’une discussion au cours de laquelle les parents de Denisa évoquent les difficultés de la manche et l’éventualité de renvoyer « la muette » en Roumanie, par manque d’argent. Mais le choix de la réalisatrice est autre : la Reine du silence est avant tout le portrait d’une fillette de 10 ans. Une gamine qui, quand une association lui offre un appareil auditif, pointe son oreille du doigt dès qu’elle perçoit un son, le visage illuminé, infiniment touchante.

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