Cap vers la défaite

Les réformes sont déjà ficelées avec la Commission européenne.

Liêm Hoang-Ngoc  • 10 juin 2015 abonné·es

La politique économique a été le thème central des débats du PS lors du congrès de Poitiers. Si certains ont défendu bec et ongles le « sérieux budgétaire » et le redressement du taux de marge des entreprises, l’apologie de la « politique de l’offre » et des « réformes structurelles » promues par Emmanuel Macron a été mise en sourdine dans la motion majoritaire, signée par tous les membres du gouvernement. Le texte du premier secrétaire n’a pas assumé au grand jour le virage néolibéral imposé par le chef de l’État. Il a esquivé le débat et endossé les thèmes de prédilection des « frondeurs » : la réforme fiscale, la séparation bancaire et la réaffectation des sommes consacrées au CICE. Au-delà de la manœuvre classique de congrès, le contenu de la motion majoritaire augure-t-il d’un changement de cap pour la deuxième partie du quinquennat ? Rien n’est moins sûr.

Le Président est désormais en campagne pour sa réélection, qu’il juge possible en cas de qualification pour un second tour face à « la bête immonde ». Il pense, au demeurant, qu’il n’existe aucune alternative à la politique de l’offre et ne conteste pas, pour cette raison, les options imposées au Conseil européen par la chancelière allemande pour la zone euro. Il n’a aucun intérêt à appuyer les demandes de la Grèce, dont le succès pourrait rendre crédible l’idée d’une coalition de la gauche écologique et radicale en France. Sa principale préoccupation est de tuer dans l’œuf une candidature concurrente et crédible dans son propre camp. Il doit pour cela donner des signaux aux frondeurs et autres admirateurs de la maire de Lille. Leur ralliement lui permet d’isoler son Premier ministre sur sa droite. Reste à neutraliser sur sa gauche l’ambitieux Arnaud Montebourg, ainsi qu’une hypothèse Syriza à la française. Pour déminer définitivement la fronde, dont l’ancien ministre de l’Économie rêve de prendre la tête, François Hollande fait mine d’écouter les doléances de la gauche de son parti, que le premier secrétaire, dans un jeu de rôle rodé à Poitiers, se chargera de lui remettre. Une pseudo-évaluation du CICE est d’ores et déjà programmée. Elle devrait accoucher d’une faible réaffectation de ses crédits vers les collectivités locales, où l’appui de ce qu’il reste d’élus de gauche sera précieux en 2017. L’annonce d’un prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu vise à indiquer que le premier étage de la réforme fiscale est en chantier et qu’il préfigure la fusion de la CSG avec l’impôt sur le revenu lors d’un éventuel second mandat. Pour prévenir la multiplication des candidatures à gauche, la promesse de la proportionnelle, faite aux écologistes pour leur permettre d’exister à l’Assemblée, est abandonnée. Les accords électoraux habituels suffiront-ils à leur garantir, ainsi qu’au PCF, un groupe parlementaire ? C’est de moins en moins évident.

Mais, quant au fond, le changement de cap réclamé par les frondeurs n’aura pas lieu. Les programmes nationaux de réforme et de stabilité sont d’ores et déjà ficelés avec la Commission européenne. Les coupes budgétaires (50 milliards entre 2015 et 2017) seront réalisées. Les salaires resteront gelés et la courbe du chômage n’évoluera qu’au gré des cours de l’euro et du pétrole, dont les baisses expliquent le rebond récent des exportations et de la consommation. En l’absence d’alternative, cette stratégie mènera la gauche à la défaite.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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