L’avenir de la presse : Un enjeu démocratique

Édito du hors-série de Politis n° 62 : Le numérique et le virtuel ne sont pas des outils neutres. Peu à peu, ils nous transforment.

Denis Sieffert  • 9 juin 2015
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L’avenir de la presse : Un enjeu démocratique
Un merci particulier à Laurent Laborie et à Arnaud Mercier, qui, par leurs conseils avisés, ont contribué à ce numéro.

« Nouveau » : le mot court sur toutes les pages de ce hors-série consacré aux médias d’aujourd’hui et de demain. Il ne s’agit évidemment pas pour nous de se pâmer devant cette « révolution permanente », mais d’en comprendre les mécanismes et d’en mesurer les effets sur nous-mêmes et sur notre organisation sociale. C’est avant tout à une réflexion que nous vous invitons, lectrices et lecteurs, rétifs ou enthousiastes, devant cette profusion de modernité. Tout est nouveau, en effet, dans l’univers médiatique : l’abondance et la mondialisation des sources, la vitesse de diffusion, l’infinie diversité de l’offre… On peut certes s’ébaudir devant le miracle numérique qui abolit le temps. Mais on doit aussi s’inquiéter devant la brutalité du changement qui menace l’imprimerie et la distribution. On peut s’émerveiller devant cette liberté nouvelle qui, grâce aux applications mobiles, permet un accès permanent à l’information. Mais de quelle information s’agit-il ?

Notre enthousiasme se mêle également d’inquiétude quand nous voyons grossir en un rien de temps des géants industriels et financiers, les fameux GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) qui trustent les armes de la communication. Gardons-nous enfin de l’illusion de l’omniscience que procurent les moteurs de recherche, et du mythe de l’omnipotence quand nos messages se jouent des frontières et brisent les interdits. Car, au fond, les pouvoirs économiques et politiques demeurent, même s’ils changent d’apparence.
Le « miracle technologique » n’a-t-il pas d’abord profité aux transferts de capitaux et précipité le divorce de la finance d’avec l’économie réelle? Mais est-ce pour autant qu’il faudrait ignorer ces incroyables gisements de « nouveautés » ? Au contraire, il faut s’en emparer. En évitant deux écueils. L’ivresse qui éteindrait en nous tout sens critique ; et la tentation de l’immobilisme, mortelle pour un journal. Car nous sommes engagés dans un mouvement qui va s’accélérant, et qui est évidemment irréversible. Régis Debray rappelait quelque part que les seules révolutions qui tiennent le coup sont celles des objets. Après chaque prise de la Bastille, il y a un Thermidor ou un maréchal Sissi, mais on n’est jamais revenu en deçà de l’invention de l’électricité. Et les appareils mobiles sont aujourd’hui indispensable à la plupart d’entre nous.

Devant ces techniques qui inquiètent autant qu’elles fascinent, on a l’habitude, sans doute pour se rassurer, d’invoquer la « langue d’Esope », qui, comme chacun sait, peut être « la meilleure ou la pire des choses ». La formule a des limites car le numérique, le digital, le virtuel ne sont pas des outils neutres. Ils ne font pas que s’offrir à nous en attendant que l’on en détermine l’usage. Ils conditionnent nos habitudes. Et, peu à peu, nous transforment.
Pour preuve, ces « nouveaux lecteurs » que nous avons interrogés en ouverture de ce journal. Comment s’informent-ils ? Que lisent-ils ? Qui sont-ils ? Ils ont bien changé déjà ! Et ce sont leurs pratiques qui déterminent nos offres et les évolutions de notre métier, avec ses contraintes nouvelles et ses nouvelles libertés. L’essence du journalisme, sa mission démocratique et citoyenne, est-elle menacée ? Et que va devenir, dans ce tourbillon, « l’entreprise » de presse ? Nous verrons ici que les réponses sont multiples. C’est pourquoi nous avons ouvert nos pages à des confrères qui ont parfois fait d’autres choix que les nôtres. Quelle économie pour les adeptes du tout numérique dans un maquis de sites jeunes et fragiles ? Comment les journaux imprimés vont-ils faire face à la crise du papier et de la distribution ? Questions passionnantes et réponses toujours incertaines.

Pour Politis , et quelques autres titres indépendants, ce n’est pas une mince affaire. C’est une tempête qu’il faut traverser ! Notre volonté de développer le bimédia, c’est-à-dire la complémentarité du Web et du papier, n’est pas pour nous une concession à l’air du temps. C’est une absolue nécessité pour faire porter notre voix au-delà des limites actuelles et atteindre des lecteurs connectés, jeunes ou moins jeunes.
Mais l’entreprise n’est pas sans risques. Car, même modestement, il nous faut investir, et sans contreparties immédiates. Voilà bien le paradoxe de ces nouveaux outils : avant de servir la démocratie – ce qu’ils feront – ils favorisent les puissants qui peuvent investir sans trop de périls. Avant de renforcer le pluralisme, ils risquent de l’affaiblir. Nous sommes pleinement engagés dans cette bataille à la fois économique et politique. Il s’agit de gagner les moyens de notre développement sans céder un pouce d’indépendance. S’il fallait résumer notre objectif, on pourrait citer Tancrède dans le Guépard : « Il faut que tout change pour que rien ne change . » S’emparer de la nouveauté, oui, mais pour rester fidèles à nos principes. C’est un enjeu démocratique.

Le hors-série OÙ VA LA PRESSE ? est disponible en kiosque, il peut être également acheté sur notre site ( ici ) ou en téléchargeant Le bon de commande ( ).

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

Temps de lecture : 4 minutes
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