Avignon en panne d’invention

Le festival poursuit sa route entre « in » et « off », sans se remettre en cause.

Gilles Costaz  • 1 juillet 2015 abonné·es
Avignon en panne d’invention
Festival d’Avignon , du 4 au 25 juillet, tél. : 04 90 14 14 14, www.festival-avignon.com. Le off : du 4 au 26 juillet. À lire : Le Roi Lear, texte français d’Olivier Py, Actes Sud-Papiers, 112 p., 13 euros. Cahiers Jean Vilar (n° 118), Molière par les siens, Maison Jean-Vilar, 144 p., 10 euros.
© Nathalie Kabanov

Il y a toujours des raisons d’être heureux quand on se rend au Festival d’Avignon. Dans la programmation du « in », on peut attendre beaucoup de Wycinka Holzfällen (Des arbres à abattre), que le metteur en scène polonais Krystian Lupa a adapté du récit de Thomas Bernhard. Valère Novarina sera de retour avec une nouvelle œuvre, toujours lexicalement folle, le Vivier des noms. Le directeur du festival, Olivier Py, prolixe et jamais dans l’ombre, présente deux de ses créations : sa version du Roi Lear, de Shakespeare, et une version espagnole de Vers la joie, qu’il a tirée de son roman l’Excelsior. Isabelle Huppert devrait effaroucher les fantômes des papes en disant des textes de Sade : Juliette et Justine, le Vice et la Vertu, dans la Cour d’honneur (le 9 juillet seulement).

Fanny Ardant portera un texte de Christa Wolf, Cassandre, dans une version musicale de Jean Deroyer et Hervé Loichemol (également un seul soir, le 22). Alain Badiou créera un feuilleton antico-politique à partir de la République, de Platon. L’excellent metteur en scène portugais Tiago Rodrigues viendra avec sa vision d’ Antoine et Cléopâtre, de Shakespeare. Le romancier Laurent Mauvignier se verra transposé en langage dansé, puisque Retour à Berratham sera chorégraphié par Angelin Preljocaj… Beau programme, mais quoi de neuf dans la structuration du festival ? Un secteur pour le jeune public et des billets un peu moins chers depuis l’an passé. Mais, si Olivier Py cherche et trouve toujours du nouveau, il oublie sans doute de remettre en cause ou de recréer la logique de la manifestation.

Jean Vilar avait inventé un festival de grands spectres, Paul Puaux avait continué la formule, Bernard Faivre d’Arcier l’avait orientée vers les grandes nouveautés de la mise en scène mondiale, Alain Crombecque avait préféré les émotions littéraires et les formes ancestrales, Hortense Archambault et Vincent Baudriller étaient revenus aux chocs internationaux. Arrivé en 2014, Olivier Py emplit les cases mises en place par ses prédécesseurs sans modifier le dessin de l’aventure. Le menu théâtral, bien qu’abondant, peut se digérer avec plaisir, tandis que le menu des débats s’étouffe de lui-même tant il y a de rencontres programmées en même temps, souvent dirigées vers les professionnels plutôt que vers le public. Et les rapports avec le « off » ? Ils ne sont jamais abordés frontalement. Olivier Py le salue très amicalement, il y a même joué en 2013, mais aucun dialogue n’est établi entre les deux manifestations. Certes, il est difficile de faire s’accorder un événement de 50 productions bien élaborées et bien produites et une explosion anarchique de 1 300 spectacles.

D’un côté, un directeur, Olivier Py. De l’autre, un président, Greg Germain, qui surveille ses cohortes tumultueuses mais ne décide d’aucun choix à caractère artistique. Pourtant, c’est de cette dualité in/off que pourrait ou devrait naître la mutation d’Avignon. Le « in » s’obstine à placer des spectacles dans la journée, alors qu’à notre avis il ne devrait vivre que la nuit, laissant le public libre de flâner aux heures diurnes. Mais non, il veut être l’entité qui ignore, et d’une certaine façon étouffe, les créations des autres. Heureusement, l’exposition de la Maison Jean-Vilar, renonçant à la tradition de grandes rétrospectives faites à partir de ses remarquables archives, s’interroge précisément sur les notions du « in » et du « off », avec une suite de documents intitulée Avignon, le rêve que nous faisons tous… Une histoire du festival. Son responsable, Jacques Téphany, parle d’ « une contradiction entre une aristocratie républicaine et une démocratie plébéienne ». Bien dit.

Théâtre
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