Joséphine Baker, revue à l’énergie

La perle noire est racontée aux enfants en un portrait vif et bariolé.

Ingrid Merckx  • 8 juillet 2015 abonné·es
Joséphine Baker, revue à l’énergie
© **Joséphine Baker** , Patricia Hruby Powell, Christian Robinson, Rue du monde, 108 p., 18,50 euros. Illustration : DR

La danse l’extirpe de son bidonville de Saint-Louis. Joséphine Baker fait danser et chanter les enfants de sa rue quand elle rejoint le Jones Family band. La jeune Baker, alias Tumpy, nommée ainsi parce qu’elle est née (en 1906) aussi potelée qu’Humpty Dumpty [^2], chante et joue du trombone. Un jour, les Dixies Steppers, troupe de music-hall, ont besoin d’un numéro supplémentaire pour leur spectacle au théâtre Booker T. Washington, où se produisent Ma Rainey et Bessie Smith. Le Jones Family décroche le job et Tumpy fait un tel tabac que les Dixies Steppers l’embauchent. « Voir tout ce monde en train de me regarder, ça m’électrisait. » À tout juste 13 ans, elle part en tournée. Le train qui l’emmène à la Nouvelle-Orléans traverse le territoire du Ku Klux Klan.

Ce portrait de Joséphine Baker raconté aux enfants chemine sur deux rails. Le premier, c’est l’énergie de cette femme dessinée en mouvement par Christian Robinson, le corps si ondulant que les autres en paraissent tout raides et figés à côté d’elle. Le second, c’est la ségrégation qui ravage l’Amérique. Joséphine Baker est noire pour les Blancs, trop claire pour les spectacles noirs, trop foncée pour Broadway ! À New York, peu après son mariage avec Willie Baker – à 15 ans–, l’artiste se fait habilleuse. Ce qui lui permet d’apprendre par cœur chaque danse et chanson. Le jour où une danseuse est absente, elle la remplace et conquiert le public en louchant. Elle stupéfie et fait rire. Explose et fait le clown. Mais c’est à Paris, dans les années 1920, avec la Revue nègre, que, pour la première fois, elle se sent belle.

Le texte de Patricia* *Hruby Powell met des mots en majuscules, comme si, sur certains, le volume montait subito. Elle joue des répétitions et décale des phrases pour laisser passer des respirations. Pédagogique, son récit ose les ellipses pour insister sur les anecdotes mémorables, intègre des citations et tente l’esprit swing. Pour les aplats et les détails, les couleurs pétillent autant que la danseuse, qui promène de grands yeux rieurs à la Picasso sur un corps en vague, en virgule, en courbes. « Explosive et scandaleuse », la perle noire se produit en ange blanc devant le public autrichien. Sur le dessin qui représente cette scène, elle apparaît belle et digne suspendue à un trapèze. Les spectateurs ne sont que des billes de couleurs levées vers elle. Et tous ceux dont on voit la bouche sourient jusqu’aux oreilles.

[^2]: Personnage d’une comptine anglaise très populaire, le plus souvent représenté par un œuf.

Culture
Temps de lecture : 2 minutes