Les associations dénoncent la « banalisation » de la rétention administrative

La politique du chiffre et l’enfermement systématique restent à l’œuvre selon les associations présentes dans les centres de rétention administrative.

Vanina Delmas  • 1 juillet 2015
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Les associations dénoncent la « banalisation » de la rétention administrative
© Photo : ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

La violence des forces de police lors de l’évacuation du campement des migrants de La Chapelle à Paris début juin a heurté les consciences. Pourtant, le lundi 8 juin, 38 personnes avaient été enfermées, réparties entre les centres de rétention administrative (CRA) de Vincennes et du Mesnil-Amelot. Une pratique bien connue des pouvoirs publics français.

Avec 49 537 étrangers privés de liberté en 2014 , la France garde sa place de championne d’Europe pour l’enfermement des étrangers. Elle devance l’Espagne, qui utilise cinq fois moins les centres de rétention administrative (CRA), l’Allemagne 10 fois moins, et le Royaume-Uni, 18 fois moins selon les données du Réseau européen des migrations.

Un mécanisme que dénoncent unanimement la Cimade, France terre d’asile, l’ASSFAM, Forum réfugiés-Cosi et l’Ordre le Malte France dans leur bilan annuel. « L’enfermement massif est inquiétant et nous ne devons pas tomber dans la banalisation du phénomène » , signale David Rohi, de la Cimade.

Le grand détournement de la rétention

C’est la tendance qui émerge puisque la rétention est utilisée pour démanteler des camps de migrants. À Calais, sur 600 personnes forcées de quitter les lieux, 205 ont été placées en CRA alors que seulement 24 ont été renvoyées vers l’Italie. D’ailleurs, en mars 2015, le préfet du Pas-de-Calais a été sanctionné pour détournement de pouvoir en prenant des arrêtés d’expulsion du territoire dans le seul but d’expulser les migrants.

Le plan du gouvernement pour gérer la crise des migrants, annoncé le 17 juin par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, prévoit la création de 10 500 places supplémentaires dans les lieux d’hébergement des migrants. Et pour éviter de nouveaux campements sauvages, 1 500 places dédiées aux migrants ouvriront dans des structures d’hébergement d’urgence d’ici à la fin de l’année.

Le ministre de l’Intérieur a néanmoins déclaré vouloir « éloigner davantage » ceux qui relèvent de « l’immigration irrégulière » . « Les places de rétention dont nous disposons doivent être utilisées à plein » , a-t-il notamment insisté.

« Le gouvernement dit vouloir une politique d’humanité ! En matière d’enfermement, c’est plutôt arbitraire, continuité et inutilité » , lance Pierre Henry, de France terre d’asile.

Une politique du chiffre flagrante quand on s’aperçoit que 55 % des personnes mises dans un avion ont atterri dans un pays membre de l’Union européenne (UE). Les Albanais représentent la première nationalité des personnes éloignées car ayant obtenu le statut de pays candidat à l’UE, ses ressortissants munis d’un passeport sont facilement expulsables.

Les oubliés de la réforme

Si les chiffres ne rendent pas les associations optimistes, le projet de loi relatif au droit des étrangers discuté au Parlement le 1er juillet non plus. « Nous avions été consultés, donc on espérait une politique nouvelle , glisse Lucie Feutrier-Cook, de l’Ordre de Malte. Mais on constate seulement que les locaux de rétention administrative (LRA) sont invisibles, les territoires d’Outre-mer sont les grands oubliés et il n’y a rien concernant les enfants et les personnes malades ! »

Et le projet de loi ne revient pas non plus sur les points les plus contestables de la loi Besson, adoptée en 2011 et très critiquée par la majorité actuelle, comme la durée de rétention maintenue à 45 jours et le passage devant le juge des libertés au bout de cinq jours.

Le statut particulier de l’Outre-mer qui prévoit un régime dérogatoire restrictif permet aux préfectures de renvoyer une personne sans attendre l’avis du juge saisi. À Mayotte, la situation est particulièrement alarmante puisque plus de 2 000 personnes sont expulsées vers les Comores et 1 400 placées dans des LRA, créés pour contourner la limite d’occupation des CRA, selon les auteurs du rapport.

Le 25 juin, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi de la réforme du droit d’asile, et sa rapporteure, Sandrine Mazetier (PS), a affirmé vouloir « traiter dans le respect, l’humanité et la dignité des femmes et des hommes que nous ne considérons pas comme des fuites d’eau [allusion aux récents propos de Nicolas Sarkozy, ndlr] *, mais bien comme nos égaux »* . Les chiffres et les conclusions des associations de terrain contredisent formellement la parole politique de la majorité.

Société
Temps de lecture : 4 minutes
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