Meetic démythifié

Niko a fréquenté avec succès le fameux site de rencontres, mais il n’y retournera pas. Il explique ici pourquoi.

Patrick Piro  • 22 juillet 2015 abonné·es

Il a longtemps hésité, luttant contre une certaine culpabilité à avoir recours « à un tel procédé ». Car Niko [^2] est parfaitement à l’aise en société. Mais voilà, il est taraudé par le sentiment de ne pas parvenir à rencontrer « la bonne personne ». Alors, pourquoi ne pas changer de méthode ? Il y a quatre ans, il s’inscrit sur Meetic, le plus important site de rencontres sur Internet d’Europe. Et là, il découvre une redoutable machine, qui répond précisément au premier degré de sa quête : sur Meetic, comme d’autres cénacles du même type, les rencontres se provoquent de manière scientifique au sein d’un vivier considérable. Il y a le questionnaire très poussé que l’on remplit pour se décrire (plusieurs dizaines de questions), la cote que l’on attribue à son appétence pour la vie en société, l’indépendance, le sexe, etc. Alors, bien sûr, c’est troublant d’avoir à ajuster sa « fiche de poste » et à parler de soi comme un horoscope, et plus encore délicat de définir les goûts que l’on attend chez « l’autre ». « J’ai spécifié “affinité partagée pour l’art”. » Sur Meetic, un gars comme Niko entre dans la catégorie « aimant à femmes ». Le contraire de la misère affective. Cinéaste, il rencontre du monde, voyage, crée, s’enthousiasme pour la beauté. Au début, c’est le coup de foudre… pour Meetic. « Un outil extraordinaire ! Moi qui me trouvais un peu trop polarisé par l’aura physique des femmes, j’entrais en relation par le canal de l’intellect. Sur Meetic, l’autre est libre de dévoiler son visage ou non. Alors on s’écrit. » Et ça, il adore. La quarantaine bien sonnée, il retrouve la jouissance des lettres enflammées de sa jeunesse. « L’écrit retrouve une place phénoménale dans la relation ! »

Et puis, pour optimiser la quête de « la » bonne personne, on n’hésite pas à exploiter « sur catalogue » la puissance potentielle du réservoir en menant de front plusieurs affaires épistolaires. Certes, il y faut un minimum de rigueur éthique, reconnaît Niko. « Mais la vie devient vraiment palpitante. Tous les soirs, il se passe quelque chose, on se sait attendu par cinq ou six messages agréables et désirants. Une vraie danse de séduction dont on maîtrise les paramètres, au milieu d’un petit harem où chaque femme ignore l’existence des autres ! Alors, on se dit : pourquoi ne pas vivre cette vie-là plutôt que de se fixer ? » Quand même : un jour, Niko rencontre Éliane. « Elle écrivait particulièrement bien… » Et c’est la première rencontre, dans un café. C’est à cet endroit précis que les choses basculent. « Tu peux échanger des messages fiévreux pendant un mois, et puis d’un coup tu as le sentiment d’en apprendre plus sur elle avant même que son thé ait refroidi. La confrontation avec le réel est radicale. » Ce qu’il appelle la part « chimique », l’odeur, la gestuelle, le langage corporel, impénétrable sur Internet. Éliane et Niko passent avec succès le test de la tasse de Lapsang Souchong, ils vivront ensemble pendant trois ans. Et puis ils se séparent.

Alors, une nouvelle partie de pêche dans la corne d’abondance ? « Je me suis répondu “non” dans la seconde. Le trajet qui va de l’intellect au physique, d’un coup, je n’ai plus trouvé ça super, je n’y crois plus, même. » Car, pour Niko, le périple Meetic a fini par faire émerger la réponse à sa vraie question initiale. « Pour rencontrer quelqu’un, il faut d’abord être disponible dans sa tête. » Alors, l’exercice de réévaluation fait des dégâts, et les « plus » de Meetic virent aux « moins ». Le tamis des goûts et des couleurs, redoutablement efficace ? « Le meilleur moyen de sélectionner quelqu’un qui te ressemble : c’est parfaitement narcissique et pernicieux ! On fait entrer les gens dans des cases. Que fait-on des différences ? » Des mauvais points, souvent : « Tiens, elle a fait une faute de français… On est en évaluation permanente, on tient des fiches à jour ! » Et ces puissants algorithmes qui choisissent les accointances à notre place, « ne m’ont-ils pas fait rater de vraies occasions ? » Meetic évite quand même le zéro pointé : la qualité de la rencontre se mesurait à la note maximale sur l’échelle de compatibilité entre deux humeurs, la voilà rendue à son état natif. « C’est faire de la place à l’autre, se laisser surprendre. J’ai eu soudain envie de laisser la vie faire son travail et de compter sur mon propre discernement. L’alchimie des atomes crochus est tellement plus simple ! La rencontre, finalement, c’est risquer l’improbable. Et ça, c’est assez génial. » Aujourd’hui Niko est de nouveau amoureux. Une rencontre à l’ancienne. On ne sait pas si elle est fan de Godard.

[^2]: Les prénoms ont été changés.

Publié dans le dossier
L'Amour au temps du libéralisme
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