Philippe Noguès, homme libre

Le député socialiste du Morbihan annonçait le 25 juin qu’il claquait la porte du PS, lassé de devoir soutenir un gouvernement qui renie ses promesses.

Pauline Graulle  • 1 juillet 2015 abonné·es
Philippe Noguès, homme libre
© Photo : Michel Soudais

Quitter le Parti socialiste pour rester de gauche. Philippe Noguès, 60 ans, député du Morbihan, a osé. Celui qui n’était ni la plus grande gueule ni même le plus gauchiste des frondeurs a rendu sa carte en plein mandat. Une première sous la Ve République, et une décision à la mesure des désillusions enfantées par ce quinquennat.

Dans une lettre expliquant son départ le 25 juin, Philippe Noguès évoque sa « honte  [de] ces hommes politiques dont les convictions varient  […] pour soutenir un gouvernement… même quand les convictions de ce gouvernement vont à l’encontre de ce qu’ils ont défendu devant les électeurs ». Après un an de lutte parlementaire, le congrès perdu de Poitiers et le recours au 49-3 pour faire passer la loi Macron ont eu raison de sa patience : le Breton a largué les amarres avec ses convictions pour seule boussole. Loin des apparatchiks qui peuplent le palais Bourbon, Philippe Noguès est entré en politique sur le tard et sans plan de carrière. Pas d’atavisme familial –  « mon père votait De Gaulle parce qu’il avait sauvé la France, mais c’est tout »  –, pas d’engagement dans des organisations de jeunesse, une détestation profonde des jeux d’appareil…

Mis à part sa casquette de syndicaliste (à la CFDT) et un goût prononcé pour les sujets politiques, qu’il dévore dans la presse, l’ancien cadre commercial, entré avec un « niveau bac » chez Philip Morris, sera pendant 52 ans comme 99 % des Français : non encarté dans un parti politique. Jusqu’à ce 1er avril 2006, où il adhère en un clic au PS. Avec déjà l’envie de souffler des vents contraires : « Je me suis engagé non pas pour soutenir la candidature de Ségolène Royal, mais pour la contrer. » Son bref et fulgurant parcours au PS suivra les mêmes chemins de traverse.

Repéré par l’édile de sa commune morbihannaise d’Inzinzac, Philippe Noguès, devenu adjoint à la citoyenneté, crée des conseils de quartier pour éveiller à la politique les 6 000 âmes qui y vivent. D’aucuns l’imaginent prendre la relève du maire, lui décide de tenter sa chance aux législatives de 2012. Il lui faut d’abord croiser le fer avec le candidat du sérail, soutenu par le ministre Jean-Yves Le Drian : une gageure sur ces terres 100 % « hollandaises ».

Grâce à une campagne de terrain, ce sympathisant d’Aubry remporte la primaire interne à onze voix près sur la circonscription des Forges-d’Hennebont, de tradition ouvrière et rebelle. Ses petits camarades ne le lui pardonneront pas : « Je me souviens d’une réunion fédérale où les socialistes de la fédé me sont tombés dessus les uns après les autres à la tribune ». Lui, stoïque, au premier rang, encaisse. Une épreuve du feu qui rendra presque indolore la suite : les coups de pression et représailles du père fouettard des frondeurs, Bruno Le Roux.

À l’annonce du départ de Philippe Noguès, la semaine dernière, celui-ci s’est fendu d’un tweet sur le mode « bon débarras ». De toute la France affluaient pourtant les messages de soutien : « La décision de Philippe a créé une résonance dans la population, note son attaché parlementaire. Sortir du jeu attire les sympathies. » Et les convoitises : Mélenchon ou Duflot y ont, eux aussi, été de leurs SMS. Chez les amis frondeurs, l’affaire a suscité des réactions chaleureuses mais aussi un petit malaise. Comme si elle les renvoyait à leur propre choix, de plus en plus intenable, de rester mordicus dans la majorité.

« Philippe s’est senti étouffé au PS, et je le comprends, mais sa décision n’est pas une stratégie politique », regrette Pouria Amirshahi. « La politique, ce n’est pas seulement mettre sa conscience en accord avec ses actes, c’est aussi faire que ses actes aient une utilité collective », pointe Barbara Romagnan. Des considérations que Philippe Noguès met sur le compte de cet « attachement affectif au parti » qu’il ne partage guère. « Les frondeurs sont dans un piège : Hollande va faire quelques concessions sur le prochain budget pour calmer son aile gauche, qui finira par se rabattre sur une abstention molle », prédit-il.

Les partis, de toute façon, il n’y croit plus. On évoque Podemos et Syriza. « Renouons d’abord avec le terrain, partons des mouvements citoyens, après on verra », répond celui qui compte se représenter aux législatives de 2017. En attendant, Philippe Noguès espère former un nouveau groupe parlementaire avec d’autres transfuges. Et continuer à voter pour ou contre les lois sans s’encombrer des étiquettes.

Politique
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