Une propriété plurielle des entreprises de presse

Julia Cagé propose un nouveau modèle pour une presse en meilleure santé financière et démocratique.

Christophe Kantcheff  • 22 juillet 2015 abonné·es
Une propriété plurielle des entreprises de presse
© **Sauver les médias. Capitalisme, financement participatif et démocratie** , Julia Cagé, Seuil, 116 p., 11,80 euros.

Voilà un livre qui, sur « la crise des médias », apporte un éclairage original. Son approche n’est pas technologique, mais économique. Et son auteure, Julia Cagé, professeure d’économie à Sciences Po Paris, ne borne pas son étude des difficultés rencontrées par la presse – plus particulièrement celle qui s’écrit – au seul prisme du bouleversement que constitue l’intrusion du numérique dans un domaine où le papier a longtemps régné seul. Pour ce faire, l’auteure s’est intéressée à la situation en Europe, avec une attention soutenue aussi envers ce qui se passe aux États-Unis, et a élargi son angle de recherche historique quand cela s’avérait nécessaire. Résultat : Julia Cagé ne nie pas la réalité de la crise. Le titre de son livre témoigne suffisamment du péril qui menace les médias. Et elle ne cache pas que la diminution du nombre de journalistes, la réduction « de la taille de la salle de presse » pour raison économique –  qu’on observe dans tous les journaux –, affecte la qualité de l’information.

Mais il n’y a pour elle rien d’inéluctable. « Sauver les médias » est encore possible, et son livre n’est pas en reste de propositions afin de trouver la meilleure réponse possible aux difficultés, notamment en termes de financement et d’actionnariat sous la forme d’ « un nouveau modèle économique et juridique ». Car c’est là, pour Julia Cagé, une des clés du renouveau, et non dans un certain nombre d’ « illusions » qu’elle examine une à une, tordant le cou au passage à quelques idées reçues. Comme celle qui réside dans l’explosion des chiffres d’audience des sites des journaux, une audience que ceux-ci ne parviennent pas ou peu à monétiser. Ou celle qui consiste à se réjouir du retour de puissants actionnaires, tels Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay, Jeff Bezos, le PDG d’Amazon, le trio Bergé-Niel-Pigasse, ou Patrick Drahi, le PDG de SFR, dans une activité déficitaire. L’auteure démontre sans peine pourquoi l’appropriation des médias par ces milliardaires pose un sérieux problème démocratique.

C’est là une autre force de cet essai, dont la lecture prolongera avec profit celle de notre hors-série, « Où va la presse ? » : sa dimension politique, qui passe par un attachement au « pluralisme de la propriété des médias », autrement dit : « un actionnariat multiple, diversifié, où la majorité des droits de vote ne soit pas entre les mains d’une minorité d’individus ». D’où le nouveau modèle qu’elle propose : « la société de média », à mi-chemin entre la fondation et la société anonyme. Celle-ci cumule plusieurs avantages, dont la possibilité d’avoir recours au financement participatif ( « crowdfounding » ) dans la constitution du capital et d’instaurer un fonctionnement démocratique. La proposition est séduisante. Qui pour l’appliquer ?

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

Pour aller plus loin…

Les intellectuels trumpistes au cœur de la nouvelle droite américaine
Idées 19 juin 2025 abonné·es

Les intellectuels trumpistes au cœur de la nouvelle droite américaine

Les universitaires états-uniens ne sont pas tous démocrates, loin de là. Et certains jouent un rôle clé dans l’élaboration idéologique du trumpisme. Cette alliance s’inscrit dans un réseau stratégique qui s’impose jusqu’aux cercles du pouvoir.
Par Juliette Heinzlef
Hamad Gamal : « On se demande si nos vies de Soudanais comptent autant que les autres »
Entretien 18 juin 2025 abonné·es

Hamad Gamal : « On se demande si nos vies de Soudanais comptent autant que les autres »

Réfugié soudanais en France, l’étudiant en sociologie travaille à visibiliser la situation dans son pays, alors même que le Soudan en guerre traverse, selon l’ONU, la pire crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Il revient sur les étapes du conflit depuis la révolution de 2018 et dénonce l’inertie de la communauté internationale.
Par Pauline Migevant
Gaza : trois livres à lire d’urgence
Livre 11 juin 2025 libéré

Gaza : trois livres à lire d’urgence

La tragédie qui se déroule sous nos yeux est décrite et analysée dans plusieurs ouvrages qui sont autant d’appels à une conscience humaine bien mal en point. Nous en avons déjà signalé plusieurs qui portaient sur les premiers mois du massacre. Nous en ouvrons ici de plus récents et de factures très différentes.
Par Denis Sieffert
François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »
Entretien 9 juin 2025 abonné·es

François Sarano : « Il y a une vraie lueur d’espoir pour les océans si on s’en donne les moyens »

L’océanographe et plongeur professionnel ne se lasse pas de raconter les écosystèmes marins qu’il a côtoyés dans les années 1980 et qu’il a vu se dégrader au fil des années. Il plaide pour une reconnaissance des droits des espèces invisibles qui façonnent l’équilibre du monde, alors que s’ouvre ce 9 juin à Nice la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc).
Par Vanina Delmas