La monnaie confisquée

La consanguinité banques/appareil d’État est un poison mortel.

Dominique Plihon  • 23 septembre 2015 abonné·es

François Hollande vient de nommer à la tête de la Banque de France François Villeroy de Galhau, directeur général délégué de BNP Paribas de 2011 à 2015. C’est la première fois qu’un banquier privé est amené à présider la banque centrale française, une institution en charge du service public de la monnaie, dont les missions sont d’assurer la stabilité de celle-ci et du système bancaire. Cette nomination, en soulevant un grave problème de conflit d’intérêts, constitue une atteinte aux règles les plus élémentaires du service public et de la démocratie. En effet, comment croire qu’il est possible d’assurer le contrôle du système bancaire avec impartialité et en toute indépendance, après avoir servi les intérêts de la plus grande banque française ? Le parcours de François Villeroy de Galhau ressemble à celui de Mario Draghi, qui a été directeur de Goldman Sachs en Europe avant d’être nommé à la tête de la Banque d’Italie et de présider la Banque centrale européenne, qu’il gouverne dans l’intérêt des créanciers et des banquiers.

En France, cette emprise de la haute finance sur la monnaie est aggravée par le mode de recrutement des élites financières. Ces dernières appartiennent pour la plupart au corps de l’Inspection des finances, principalement issu de l’École nationale d’administration (ENA). Leur cursus est identique. Après avoir fait leurs premières armes au ministère des Finances, ces hauts fonctionnaires pantouflent dans le privé, le plus souvent dans les banques [^2]. C’est ainsi que François Villeroy de Galhau, condisciple de Pierre Moscovici à l’ENA, a été directeur de cabinet de Dominique Strauss-Kahn avant de rejoindre BNP Paribas. Ces va-et-vient entre la haute fonction publique et la banque ont été pratiqués par d’autres personnages non moins célèbres, tels le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron, ancien de Rothschild, ou François Pérol, secrétaire général adjoint de l’Élysée puis PDG de Banques populaires-Caisses d’épargne (BPCE), aujourd’hui devant la justice pour prise illégale d’intérêts.

Cette consanguinité entre les responsables des banques et ceux de l’appareil d’État est un poison mortel pour la démocratie et le système bancaire. Très bien organisées, ces élites constituent un puissant lobby, en mesure d’influencer les décisions politiques. C’est ainsi que l’on peut expliquer le blocage des réformes bancaires. Une bonne illustration en est fournie par la réforme avortée de 2014 (loi bancaire de Moscovici), qui devait séparer les activités des banques de détail de celles des banques d’investissement, mais dont les modalités ont été dictées par le lobby bancaire. On peut douter que le nouveau gouverneur de la Banque de France sache imposer à l’avenir à ses confrères les règles contraignantes nécessaires à la stabilité du système bancaire. Et qu’on ne vienne plus nous parler de l’indépendance de la banque centrale ! La réappropriation par les citoyens de la monnaie, bien public aujourd’hui confisqué par une minorité, doit passer par le contrôle démocratique des banques, à commencer par la banque centrale. Ce monde que nous voulons est aux antipodes de celui de François Hollande et de ses alliés de la haute finance.

[^2]: Voir Le Livre noir des banques , Attac et Basta !, Les Liens qui Libèrent.

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