Didier Migaud : « Le dernier mot revient toujours au politique »

Malgré ses nouvelles missions d’évaluation des politiques publiques, la Cour des comptes ne sort pas de son rôle, estime Didier Migaud.

Thierry Brun  • 21 octobre 2015 abonné·es
Didier Migaud : « Le dernier mot revient toujours au politique »
Didier Migaud est premier président de la Cour des comptes.
© GUAY/AFP

Didier Migaud réfute ici les critiques, récurrentes ces dernières années, sur un certain nombre de rapports émis par l’institution qu’il préside.

Une partie de la gauche reproche à la Cour des comptes d’outrepasser sa mission. Comment recevez-vous cette critique ?

Didier Migaud : Cette critique est infondée ! La Cour ne sort pas de son rôle, qui est, en l’espèce, d’aider le gouvernement et le Parlement à savoir si les objectifs qu’ils se sont fixés sont atteints et, dans le cas contraire, à formuler des recommandations pour ce faire. Ce n’est pas la Cour qui décide s’il faut redresser les comptes publics et à quel rythme, c’est la représentation nationale. Qu’on approuve ou qu’on déplore les objectifs votés, la Cour ne peut que s’inscrire dans ce cadre et elle ne serait pas légitime à les contester. Pour revenir sur un sujet récent qui a pu faire l’objet d’incompréhensions, la Cour est dans son rôle quand elle constate que la masse salariale de l’État progresse de 700 millions d’euros, alors que l’objectif du gouvernement est de limiter cette progression à 250 millions d’euros par an, et quand elle identifie les différents leviers permettant de réaliser les 450 millions d’euros d’économies nécessaires. C’est à l’exécutif de décider ou non de les mettre en œuvre… ou de changer d’objectif. Ceux qui adressent des reproches à la Cour parce qu’ils ne sont pas d’accord avec l’objectif se trompent d’interlocuteur ! Dans tous les cas, le dernier mot, la décision, revient toujours au pouvoir politique, ce qui est normal en démocratie.

Le rôle de la Cour des comptes a cependant changé ces dernières années…

Le législateur a effectivement confié de nouvelles missions à la Cour. Outre celles de juger les bilans des comptables publics et de contrôler le bon usage de l’argent public en termes de régularité, d’efficacité comme d’efficience, elle s’est vu confier par la loi organique, en 2001, la mission de certifier les comptes de l’État et, depuis, ceux de la Sécurité sociale. Par la Constitution, depuis 2008, elle a aussi la mission de contribuer à l’évaluation des politiques publiques. La Cour s’intéresse donc à des sujets plus largement que sous le seul angle de la conformité à la réglementation de la dépense publique. La réduire à un simple rôle de « comptable », ce qu’elle n’est plus uniquement, dispense de répondre sur le fond aux difficultés soulevées par la Cour… Quand elle contrôle l’efficience ou qu’elle procède à une évaluation de politique publique, la Cour examine ses objectifs et les compare aux résultats et aux moyens qui lui sont consacrés. Elle a ainsi été amenée à constater, au vu des enquêtes internationales, qu’en matière d’éducation nationale, notre système – dont les performances en termes de résultats des élèves se dégradent – non seulement n’arrivait pas à réduire les inégalités, mais, pire, pouvait les aggraver. Qui peut s’en satisfaire ? Ce n’est pas seulement une question de moyens, mais aussi d’organisation et de gestion de ces moyens. Que l’on souhaite dépenser davantage ou réduire les budgets pour cette politique publique ou une autre, la question de l’efficacité de l’organisation et de la gestion des moyens doit être de toute façon posée. En l’occurrence, il existe des marges. Plus on est attaché au service public, plus on devrait être soucieux de son efficacité !

La controverse porte aussi sur les recommandations en matière de politiques économiques, considérées du seul point de vue néolibéral. La Cour des comptes pourrait-elle développer d’autres méthodes ?

Il est inexact d’affirmer que les recommandations de la Cour refléteraient le seul point de vue néolibéral. Lorsqu’elle recommande que l’État exerce mieux sa mission de contrôle sanitaire et vétérinaire, est-ce libéral ? Lorsqu’elle déplore que des dépenses de santé augmentent trop vite, parfois au détriment des assurés sociaux mais au bénéfice de certaines professions de santé, ou que de trop nombreux auxiliaires médicaux s’installent sur le pourtour méditerranéen au risque de créer des déserts sanitaires ailleurs, est-ce libéral ? Lorsqu’elle préconise de réévaluer la rémunération des enseignants, moins bien payés en France que leurs homologues de l’OCDE, est-ce libéral ? Lorsqu’elle demande que le pilotage des politiques publiques par l’État soit mieux assuré, ou qu’elle critique les faiblesses de l’État actionnaire des entreprises de défense, est-ce libéral ? Je pourrais multiplier les exemples qui démontrent que cette accusation est sans fondement. Par ailleurs, l’exercice du droit à contradiction des organismes contrôlés et la collégialité de nos délibérations sont au cœur de nos procédures. Je vous confirme que ces deux points sont parfaitement respectés, et qu’ils mettent la Cour des comptes à l’abri de tout parti pris idéologique.

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