John Taylor : Un explorateur discret

Le pianiste britannique John Taylor est décédé brutalement cet été, à 72 ans. Une perte immense pour le milieu du jazz.

Lorraine Soliman  • 7 octobre 2015 abonné·es
John Taylor : Un explorateur discret
© **2081** , John Taylor, CAM Jazz. Photo : Andrea Boccalini

Rien ne laissait prévoir la disparition de John Taylor le 18 juillet dernier. Il se produisait sur la scène du Saveurs jazz Festival de Segré (Maine-et-Loire) au sein du quintette du contrebassiste Stéphane Kerecki, en duo avec ce dernier sur la musique de Paul Misraki composée pour Alphaville de Jean-Luc Godard, lorsqu’il a perdu connaissance et s’est «  doucement affaissé sur son piano, laissant un moment penser que cette figure faisait partie du spectacle  », relate Ouest-France. C’est sur le répertoire de Nouvelle Vague, le très beau projet de Stéphane Kerecki, que le pianiste britannique a plaqué ses derniers accords. Superbe exemple de délicatesse et d’intensité, deux qualités essentielles de John Taylor, qu’il soit sideman ou leader. «  [Sa présence] a été primordiale [sur ce projet] et a orienté l’ensemble vers une certaine sobriété », raconte le contrebassiste ( Jazz Magazine/Jazzman n° 663, été 2014). Un minimalisme assorti d’une sensibilité qui a fait de lui un accompagnateur hors pair.

Né à Manchester en 1942, John Taylor fait ses débuts professionnels à Londres en 1964-1965. C’est en 1969, alors qu’il est associé au saxophoniste John Surman, que le milieu du jazz commence à s’intéresser à ce jeune pianiste autodidacte. Ensemble, ils enregistrent sept albums de 1970 à 1997, dont le magnifique duo Ambleside Days (Ah Um Records, 1992). Avec la chanteuse britannique Norma Winstone (qui deviendra son épouse) et le trompettiste canadien Kenny Wheeler, il forme un trio fondamental dans l’histoire du jazz, Azimuth. De 1977 à 1994, les deux instrumentistes y expriment leur complicité naturelle autour et au cœur d’une des voix les plus singulières du jazz. Guidé par l’oreille attentive du producteur Manfred Eicher, fondateur du prestigieux label ECM, le trio libère la relation voix-instrument. En cinq albums avant-gardistes empruntant autant au jazz qu’à la musique contemporaine, il renouvelle un sous-genre que l’on qualifie souvent de « jazz de chambre », grâce à une conception très personnelle du son et de l’espace, estompant toujours plus les frontières entre écriture et improvisation. Le trompettiste et le pianiste ne cesseront leur collaboration foisonnante qu’à la mort de ce dernier, en septembre 2014. La rencontre avec Kenny Wheeler et son entrée au catalogue ECM permettent à Taylor de s’ouvrir aux jazzmen européens sous contrat avec le label (Jan Garbarek, Miroslav Vitous…) ainsi qu’à quelques musiciens américains attachés au vieux continent : Peter Erskine, Steve Swallow, Gil Evans, Charlie Mariano.

Ayant rejoint le label italien CAM Jazz en 2005, John Taylor poursuit son exploration des possibles de la musique. C’est aussi un compositeur recherché, comme en atteste un disque qui fait déjà parler de lui, intitulé 2081 (CAM Jazz, 2015). Enregistré en famille avec ses fils Leo et Alex Taylor, respectivement batteur (de rock) et chanteur (Hot Chip), augmenté du tubiste Oren Marshall, 2081 est une adaptation pour quartette d’une suite orchestrale consacrée à l’écrivain américain Kurt Vonnegut, commandée par la BBC en 2012. Sur un prétexte futuriste inspiré de la nouvelle Harrison Bergeron ( Pauvre Surhomme ), les musiciens dialoguent sur un mode intimiste, entre jazz minimaliste et pop impressionniste. Un disque original qui donne à entendre une autre facette de l’un des plus grands jazzmen britanniques. En attendant la sortie, mi-octobre, d’un ultime duo enregistré en 2005 avec Kenny Wheeler, On The Way To Two.

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