Pierre Gattaz préfère les emplois temporaires

Le président du Medef et PDG de Radiall estime avoir « créé » cinq cents postes en France et propose une généralisation du concept.

Sasha Mitchell  et  Jean-Christophe Catalon  • 7 octobre 2015 abonné·es
Pierre Gattaz préfère les emplois temporaires
© Photo : DESMAZES/AFP

Fin août, lors de l’université d’été du Medef, Pierre Gattaz n’avait qu’un seul mot à la bouche : agir, et vite. Réforme du dialogue social, facilitation des licenciements, suppression de deux jours fériés, le Medef enchaîne les propositions chocs depuis la publication, en septembre 2014, de son petit livre jaune 1 million d’emplois… c’est possible !

PME fondée en 1952 par les frères Gattaz, Lucien et Yvon, Radiall est aujourd’hui une entreprise de taille intermédiaire internationale. Spécialisée dans l’industrie de l’électronique, elle fournit des composants pour les télécommunications, l’aéronautique (civile et militaire) et l’automobile. Elle compte parmi ses clients Boeing, Thales et Airbus. Pierre Gattaz en a pris la direction générale en 1992, avant d’accéder au siège de PDG deux ans plus tard. Le chiffre d’affaires 2014 de l’entreprise était de 279,3 millions d’euros. Ses effectifs s’élevaient à 2 990 emplois, dont 1 386 en France.

Les objectifs affichés par l’organisation patronale sont clairs : en finir avec un modèle social jugé inadapté pour relancer la création d’emplois. « Le problème qu’il faudra régler le plus rapidement possible,  [c’est] la peur des patrons d’embaucher parce qu’ils ont peur de licencier », assène Pierre Gattaz dans son livre Français, bougeons-nous ! (éd. du Nouveau Monde, 2014). Derrière ce discours, on distingue en filigrane le « modèle Radiall », l’entreprise spécialisée dans la connectique créée par le père et l’oncle de Pierre Gattaz en 1952, et qu’il dirige depuis plus de vingt ans (voir encadré). Pierre Gattaz n’a pas attendu les réformes qu’il demande depuis qu’il est président du Medef pour appliquer sa vision de l’emploi. Dans son livre, il cite régulièrement Radiall en exemple pour étayer ses thèses : « Vingt-deux ans après ma prise de fonction en tant que DG puis PDG, j’ai le plaisir de constater qu’avec mes équipes et mes collaborateurs  […] nous avons créé environ cinq cents emplois en France », affirme-t-il. C’est l’une des fiertés du PDG. En 1992, les effectifs de Radiall s’élevaient à 922 travailleurs en France, pour 1 384 en 2013, selon les rapports annuels du groupe. Une progression de 462 emplois – et non 500 –, considérée comme honorable puisque l’entreprise ne réalise aujourd’hui plus que 15 % de son chiffre d’affaires dans l’Hexagone.

Rien, en revanche, dans l’ouvrage de Pierre Gattaz sur la nature de ces emplois, qui, en y regardant de plus près, sont à relativiser. En 2013, les effectifs de Radiall comprenaient 209 intérimaires, employés au sein des quatre établissements de la maison mère et de ses deux filiales françaises, IDMM et Raydiall. Plus de 45 % des 462 emplois créés sont donc temporaires. À cela s’ajoutent les 125 salariés que comptait IDMM avant son rachat par le groupe Radiall à la fin des années 2000, et aujourd’hui comptabilisés dans les effectifs totaux de l’entreprise. Difficile de considérer des emplois déjà existants comme « créés ».

Une fois intérimaires et emplois déjà existants déduits, le nombre d’emplois « stables » (CDD ou CDI) créés sur les six sites français de Radiall n’est plus que de 130 environ. Et, dans les quatre établissements de la maison mère (filiales exclues), le constat est encore plus révélateur. En vingt-deux ans, Pierre Gattaz y a créé 65 emplois en CDD ou en CDI, comme l’attestent les comptes sociaux. Radiall a fait le choix de l’emploi temporaire au motif que le groupe a été « durement frappé par la crise des télécoms de 2001 puis par la crise économique de 2008. En 2009, nous avons réussi à nous adapter et à éviter les licenciements en supprimant les intérims et en ne renouvelant pas certains CDD », indique le directeur général, Dominique Buttin. Or depuis 2005, et à l’exception de 2009, l’entreprise n’a cessé d’engranger des bénéfices et de distribuer des dividendes. En 2014, le chiffre d’affaires a bondi de 21 %, les bénéfices atteignant 34 millions d’euros et les dividendes versés passant de 2,7 millions d’euros pour l’exercice 2013 à 4,5 millions d’euros pour l’exercice 2014. Pour Gattaz, l’emploi temporaire et précaire est donc bien la variable d’ajustement, quels que soient les résultats financiers de l’entreprise. Et le président du Medef va plus loin avec le « contrat de projet », paradoxalement défini comme un « contrat à durée indéterminée qui prendrait fin une fois le projet réalisé ». Calqué sur le modèle scandinave de « flexisécurité », ce nouveau type de contrat, plus souple sur les conditions de rupture, remplacerait finalement le recours à l’intérim et serait moins coûteux pour l’employeur. Une manière pour le patronat d’éviter les plans sociaux. Et d’entériner le « modèle Radiall ».

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