Aide au développement : additions et soustractions gouvernementales

Hausse, baisse, hausse, baisse de la hausse…. Deux semaines avant la COP 21, le budget de l’aide au développement, dédié notamment à la lutte contre l’impact du réchauffement climatique, était au cœur d’une bataille budgétaire entre le gouvernement et les députés de gauche.

Lena Bjurström  • 19 novembre 2015
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Aide au développement : additions et soustractions gouvernementales
© Photo : Michel Sapin, ministre des Finances et des Comptes publics, s'adresse aux parlementaires lors d'une session de questions au gouvernement, le 28 octobre 2015. (CITIZENSIDE/YANN KORBI / citizenside.com)

Gouvernement : 1 Députés de gauche : 0

Peu audible en dehors des couloirs feutrés de l’Assemblée, la bataille a pourtant fait rage. La pomme de discorde ? Le budget de l’aide publique au développement, soit le soutien financier de la France à des projets santé, éducation, mais aussi d’adaptation aux changements climatiques, dans des pays en voie de développement. Un sujet loin d’être anodin, à deux semaines de la COP 21. Bataille de chiffres et amendements, retour sur une passe d’armes entre le gouvernement et le parlement.

Le 27 septembre dernier, à l’issue du sommet de l’ONU, François Hollande, dans un grand effet de manche, annonce que la France augmentera «le niveau de son aide publique au développement pour dégager 4 milliards de plus à partir de 2020» . La promesse s’étend certes au-delà du mandat du président, mais elle préfigure tout de même une augmentation à venir. Une promesse plus que bienvenue à l’heure où la France, loin des grands discours sur la solidarité climatique et sociale, peine à respecter sa promesse de consacrer 0,7% de sa richesse nationale à l’aide au développement. Les ONG sont à deux doigts de déboucher le champagne.

Mais l’euphorie ne dure pas. Trois jours plus tard, le projet de loi de finances 2016 vient doucher les espoirs des organisations. Loin d’augmenter, le budget de l’aide publique au développement, en baisse constante depuis cinq ans, est une fois de plus amputé, cette fois-ci de 170 millions d’euros. L’incompréhension règne, non seulement au sein des organisations de la société civile mais également du côté des députés de gauche, du PS au PC.

«La solidarité envers les victimes du changement climatique est une question de justice et de responsabilité des pays les plus riches, producteurs des gaz à effet de serre à l’origine du réchauffement climatique. Financer des actions d’adaptation au changement climatique et de prévention des risques de catastrophes est nécessaire pour protéger les populations les plus vulnérables aux impacts du changement climatique et contribue au développement durable.» , écrivent des parlementaires de multiples obédiences politiques dans une tribune publiée dans Le Monde.

Une petite hausse pour diminuer la baisse

Les députés tempêtent tant que le gouvernement convient de compenser cette baisse par une petite hausse permettant de diminuer la baisse… Dit autrement : Il y aura bien une baisse de 170 millions d’euros des crédits budgétaires alloués à l’aide publique au développement. Mais un amendement vient augmenter ces crédits de 50 millions d’euros. Les crédits sont donc finalement diminués de 120 millions d’euros. Subtilités de la mathématique gouvernementale.

Le discours de François Hollande semble toujours légèrement déconnecté de la réalité. Pas de soucis. L’aide publique au développement n’est pas seulement financée par les fonds propres de l’État mais aussi par les recettes de la Taxe sur les Transactions Financières (TTF). En un amendement, le gouvernement augmente de 100 millions d’euros la part de ces recettes affectées à l’aide publique au développement, et plus précisément aux projets de lutte contre les conséquences des changements climatiques. Une mesure qui devrait compenser la baisse des crédits budgétaires de l’État.

À la veille de la COP 21, les parlementaires décident d’aller plus loin. Ils introduisent, et votent deux amendements : Le premier élargit la Taxe sur les transactions financières à des échanges qui, jusque là, y échappaient. Cette mesure, qui ne sera appliquée qu’en 2017, augmentera donc les ressources issues de la taxe et donc, de fait, les crédits de l’aide publique au développement. Le second augmente à nouveau la part des ressources de cette taxe affectée à l’aide au développement, de 268 millions d’euros. Les ONG ressortent le champagne.

Mais vendredi, dans un hémicycle déserté par les parlementaires, le gouvernement introduit un énième amendement, coupant de 162 millions d’euros la part des ressources de la TTF affectée à l’aide publique au développement. L’amendement est voté, et, discrètement, le gouvernement coupe l’herbe sous le pied des parlementaires.

Les chiffres s’additionnent et se soustraient, d’un amendement à l’autre. Au terme de ce subtil calcul, le gouvernement ne voit manifestement pas ce qu’on pourrait lui reprocher. Les crédits destinés à l’aide au développement sont «majorés» par rapport au projet de finance initial, écrit-il dans l’exposé des motifs de son dernier amendement. L’initiative des parlementaires n’est pas remise en question, juste minorée. Autrement dit, ça augmente, un peu, mais pas trop, tout le monde devrait être content.

Certes, mais pour Pouria Amirshahi, député PS qui s’était engagé en faveur d’une augmentation de l’aide au développement, la manœuvre n’en est pas moins «incohérente voire irresponsable» .


«Je regrette que les grands discours sur l’aide au développement restent trop souvent de vains mots tandis que les guerres, la pauvreté, la corruption ne cessent eux de s’étendre» , écrit-il sur son site.

Et pour les ONG, ces manipulations mathématiques semblent bien décalées par rapport aux grands discours politiques. «C’est une coupe en catimini, s’insurge Christian Reboul, chargé des questions d’aide au développement chez Oxfam France, A deux semaines de la COP 21, c’est triste et incompréhensible.»

Écologie
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