Climat : Les citoyens en première ligne

Ils ne se contentent plus d’appeler les dirigeants à signer un « bon accord » sur le climat. Mouvements, associations, syndicats affirment de plus en plus leur stratégie face à la crise.

Patrick Piro  • 25 novembre 2015 abonné·es
Climat : Les citoyens en première ligne
© Photo : NGAN/AFP

Six ans après l’échec de la conférence climat de Copenhague (2009), qu’elle n’avait pas réussi à infléchir, la société civile est de retour avec des ambitions nettement à la hausse. « Mûrie, plus largement déployée et plus stratégique », elle revendique de jouer les premiers rôles dans la bataille climatique, constate Anabella Rosemberg, conseillère climat de la Confédération syndicale internationale (CSI), engagée au sein de la Coalition Climat 21. Le point sur les nouveaux terrains investis en 2015 par les militants.

Prendre ses responsabilités

À Copenhague, la stratégie des militants avait consisté, pour l’essentiel, à faire pression sur les délégations officielles : forcer les États à mettre en sourdine leurs intérêts nationaux pour signer un accord planétaire sur la limitation de l’effet de serre. Il n’en était rien sorti ou presque. En 2015, les organisations ont intériorisé la perspective que la conférence de Paris ne signe pas plus cet accord idéalisé – contraignant, équitable, vérifiable, réajustable. Pour autant, les militants ne déserteront pas Le Bourget, tant s’en faut, ne serait-ce que pour des raisons tactiques. Car la COP 21, avec 40 000 participants dont près de 140 chefs d’État, est un événement à l’audience planétaire, démultipliée depuis les attentats du vendredi 13 novembre. Débordées, les Nations unies, organisatrices, annoncent plus de 6 000 demandes d’accréditation de journalistes, deux fois plus que prévu, « situation sans précédent ». La plupart des grandes organisations de la société civile auront donc un pied au Bourget pour agir auprès des délégations officielles et exploiter la caisse de résonance médiatique de l’événement. Cependant, l’après-COP 21 est déjà inscrit, parfois depuis des mois, sur l’agenda militant d’Alternatiba ou de la Coalition Climat 21 –  « Si on ne fait rien, personne ne le fera à notre place », décline son slogan. « Nous ne nous battons pas pour un accord au Bourget, mais pour maîtriser le dérèglement climatique », souligne Anabella Rosemberg.

Cibler le nerf du dérèglement

L’incessant travail de pression des associations sur les gouvernements et les entreprises a gagné en efficacité. « On cherchait depuis des années des angles d’attaque pointus et concrets, nous avons trouvé », commente Éros Sana, du mouvement 350.org, à l’origine d’un appel à se désinvestir du charbon, l’énergie fossile la plus utilisée et la plus polluante. En trois ans, cette campagne internationale a suscité l’annonce du retrait de 50 milliards de dollars d’actifs dans cette filière de la part d’entreprises ou d’investisseurs publics pesant ensemble 2 600 milliards de dollars. L’appel de 350.org, très repris, est devenu l’un des fers de lance des mouvements engagés dans la lutte climatique. « La bataille contre les fossiles s’est constituée comme un des éléments forts d’une vision partagée entre les organisations », constate Éros Sana. La récente victoire des militants nord-américains a été saluée comme emblématique : par leur pugnacité, ils ont poussé Barack Obama à renoncer à l’oléoduc géant Keystone XL, qui devait acheminer à travers les États-Unis l’huile extraite des sables bitumineux d’Alberta, désastre écologique et social. Pays hôte de la COP 21, la France a constitué une cible de choix ces derniers mois. Plusieurs résultats récents sont à mettre au crédit des associations, comme l’amélioration de certains points de la loi de transition énergétique adoptée cet été, l’abandon des subventions à l’exportation des centrales à charbon polluantes ou encore les avancées sur la taxe européenne sur les transactions financières, dont un quart de la collecte serait affecté au secteur climatique.

Élargir le front

Copenhague avait assisté à l’émergence forte des revendications pour la « justice climatique » portées par les réseaux altermondialistes, en contrepoint plus qu’en complément de l’approche environnementaliste. Aujourd’hui, la nécessité de défendre les populations pauvres du Sud touchées par le dérèglement et de combattre simultanément les émissions de CO2, deux facettes d’une même crise, est beaucoup mieux comprise par chacun des pôles. Et le front a encore gagné de l’ampleur. Principal regroupement constitué dans la perspective de la COP 21, la Coalition Climat 21 rassemble plus de 130 organisations syndicales, de solidarité internationale, confessionnelles, de défense des droits humains, de l’environnement, de mouvements sociaux, etc. « Les syndicats ont parcouru un chemin important, souligne Anabella Rosemberg. Le dérèglement climatique est désormais perçu à long terme comme une vraie menace pour le monde du travail : il n’y aura pas d’emplois sur une planète morte. Nous nous préparons donc désormais à bousculer le patronat sur des terrains où il récuse notre intervention, comme l’évolution du modèle de production, la formation aux métiers adaptés à la transition énergétique ou la stratégie des entreprises face au dérèglement. » Le récent ralliement des mouvements confessionnels est peut-être l’élargissement le plus notable de ces derniers mois. Jusque-là, seules quelques organisations d’obédience catholique (CCFD-Terre solidaire, Secours catholique) étaient ouvertement engagées. Leur participation s’est renforcée, notamment appuyée par la récente encyclique écologiste du pape François. Elles ont été rejointes par des groupes protestants et musulmans. Des pèlerinages « climatiques » venus d’Italie, d’Angleterre ou de Suède vont converger vers Saint-Denis. Et les quartiers commencent à participer, se félicite Éros Sana. « Mwasi, Ferguson in Paris, les anciens des listes Émergence aux élections régionales de 2010… Autant de groupes luttant contre les discriminations et les inégalités – injustices environnementales comprises –, qui ont décidé de s’impliquer. » Enfin, la mobilisation du public a pris une ampleur inédite. Le mouvement Alternatiba, qui a essaimé dans plus de 100 villes en France en deux ans, en promouvant des solutions alternatives pour sortir de la crise climatique, dessine un mouvement social en éclosion. L’association Avaaz, qui se consacre aux pétitions de masse, annonce avoir collecté trois millions de signatures pour une France « 100 % énergies renouvelables ». C’est aussi une marque de l’élargissement du front climatique : l’enrichissement provient surtout du ralliement de groupes peut-être moins radicaux dans leur expression qu’Attac ou 350.org, mais convaincus avec eux qu’il faut porter de nouveaux modèles pour la société.

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