Réchauffement : qui doit payer ?

Une étude conduite par Thomas Piketty et Lucas Chancel propose de taxer les individus les plus émetteurs de gaz à effet de serre plutôt que de raisonner pays par pays.

Erwan Manac'h  • 4 novembre 2015 abonné·es
Réchauffement : qui doit payer ?
© Photo : GABALDA/AFP

C’est une question cruciale de la conférence de Paris sur le climat : qui financera la lutte contre le changement climatique et selon quels mécanismes ? Les parties se sont engagées en 2009 à verser 100 milliards d’euros par an à partir de 2020 dans un Fonds vert pour financer principalement l’adaptation au changement climatique des pays les plus pauvres. Mais les milliards ont timidement commencé à tomber au gré d’annonces unilatérales, essentiellement de la part des pays européens, sans clarté ni règles communes à l’échelle planétaire.

L’enjeu est donc de définir un mécanisme ambitieux et équitable pour lever plus de fonds et mettre d’accord les pays industrialisés – responsables historiques du réchauffement climatique – et les pays en développement – les plus vulnérables à ses impacts. Pour y parvenir, Thomas Piketty et Lucas Chancel, chercheurs à l’École d’économie de Paris et à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), ont évalué les émissions individuelles en analysant les habitudes de consommation, couplées aux données sur les inégalités de revenus – une première. Leurs résultats soulignent « le réel défi » posé par l’apparition d’une classe moyenne et aisée dans les pays émergents, car celle-ci accroît ses émissions plus rapidement que tous les autres groupes sociaux, « avec des taux de croissance cumulés des émissions atteignant 40 % » par rapport à 1998. Les 20 % de plus gros émetteurs, eux, contiennent la hausse de leurs émissions sous les 10 %. En résumé, « les inégalités mondiales d’émissions de CO2 entre individus ont diminué entre le protocole de Kyoto et aujourd’hui ». Le fossé se creuse en revanche au sein de chaque pays. L’appauvrissement des 2 % d’individus les moins pollueurs a provoqué une diminution de leurs émissions de 12 %. La photographie instantanée de la pollution atmosphérique dans le monde mérite elle aussi d’être nuancée au regard des inégalités de revenus. Les plus riches demeurent les plus gros pollueurs : 45 % des émissions sont le fait de 10 % d’individus. Mais « les grands émetteurs sont aujourd’hui sur tous les continents, et un tiers d’entre eux vient des pays émergents », observent Chancel et Piketty. Or, la contribution financière de ces pays « demeure symbolique à l’heure actuelle et ne reflète pas la nouvelle géographie des grands et petits émetteurs individuels », pointent les deux chercheurs.

L’Union européenne assume 62 % de l’adaptation aux effets du changement climatique dans le monde. « Elle devrait faire encore trois fois plus d’efforts, mais elle doit aussi être rejointe par des pays en développement où les riches ont des émissions élevées et peuvent contribuer financièrement », résume Lucas Chancel. Ces travaux pourraient servir de base à des négociations pour un impôt à l’échelle mondiale, calculé à partir d’une application du principe « pollueur-payeur ». Trois scénarios sont proposés. Le premier : faire payer tout individu émettant plus de CO2 que la moyenne mondiale d’émission. Un impôt qui concernerait 30 % de la population mondiale, 90 % des Américains, 80 % des Européens et 30 % des Chinois. Selon deux autres scénarios, l’impôt serait resserré sur les 10 % des plus gros émetteurs ou le 1 % des plus gros pollueurs (soit 9 % des Américains, 1 % des Européens et 1 % des Chinois).

Charge désormais aux politiques de définir la forme de cet impôt. « Les pays du Sud ne signeront rien si les pays riches se renient », prévenait Pascal Canfin en juin. L’ex-ministre du Développement faisait la promotion des financements innovants, au premier rang desquels la taxe sur les transactions financières, plébiscitée par les associations [^2]. Lucas Chancel et Thomas Piketty promeuvent la généralisation de la taxe sur les billets d’avion, déjà en place dans neuf pays. Elle présente le double avantage d’être ciblée sur une activité polluante et acquittée par la population la plus aisée. « La taxation des billets de première classe à hauteur de 180 euros et des billets de classe éco à hauteur de 20 euros permettrait de générer 150 milliards d’euros pour l’adaptation chaque année », estime l’étude. Les efforts à consentir restent immenses. Début octobre, l’OCDE a estimé à 56 milliards d’euros la somme investie par les pays développés en 2014, agrégeant des fonds publics et privés qui n’ont pas tous vocation à abonder le Fonds vert. Et si la Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et plusieurs chefs d’État (dont Hollande et Merkel) se sont prononcés ces dernières semaines pour « fixer un prix au carbone », ils n’ont pas précisé s’ils préconisent l’achat-vente de permis de polluer sur les marchés carbone – qui ont montré leurs limites – ou l’instauration d’une taxe carbone.

[^2]: Cf. Politis n° 1368, du 9 septembre.

Écologie
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