Txetx Etcheverry : « L’interdiction de manifester est politique »

Alors que la COP 21 s’apprête à réduire ses ambitions, on veut étouffer la société civile, estime Txetx Etcheverry.

Patrick Piro  • 25 novembre 2015 abonné·es
Txetx Etcheverry : « L’interdiction de manifester est politique »
Txetx Etcheverry Cofondateur du mouvement altermondialiste Bizi ! (« Vivre ! » en basque), à l’origine d’Alternatiba.
© EVRARD/AFP

Le mouvement Alternatiba, né il y a deux ans à l’initiative de la petite association basque Bizi, a touché plus de 500 000 personnes en France et en Europe, notamment lors des 5 500 kilomètres de son tour de France des alternatives l’été dernier. Un mouvement social sur le climat est en train de naître, espèrent Txetx Etcheverry et les autres inspirateurs du mouvement, avec l’émergence d’une génération de jeunes animateurs très résolus.

Comprenez-vous la décision du gouvernement d’interdire toute manifestation de rue pendant la COP 21 au nom de l’état d’urgence ?

Txetx Etcheverry : Cette mesure n’est tout simplement pas acceptable. Sous couvert de sécurité, elle traduit un choix politique. Comment expliquer que soit maintenu le grand marché de Noël des Champs-Élysées, impossible à sécuriser, et que la préfecture de police décide d’annuler, quatre semaines à l’avance, les mobilisations prévues le 12 décembre ? Laurent Fabius, quand nous l’avons rencontré le 17 novembre, a été explicite. Alors qu’il était favorable à une alternative à la grande marche parisienne du 29 novembre, qu’il voit comme un accompagnement des négociations de la COP 21, il ne percevait pas l’intérêt de sauver la mobilisation du 12 décembre, au motif qu’elle interviendrait après la conclusion du sommet officiel. Il a eu beau se reprendre devant nos protestations, il a exprimé le fond de sa pensée : on veut étouffer l’expression de la société civile.

Quel est le sens d’une mobilisation ce jour-là ?

Il n’est pas question de laisser le dernier mot au sommet officiel. Alors que s’ouvre la COP 21, les engagements gouvernementaux entérinent une augmentation de 3 °C des températures, qui projette la planète vers un emballement climatique. Et quelle que soit la nature de ce qui sera finalement signé par les États, les délégations clameront leur satisfaction, comme après l’échec de Copenhague en 2009. Notre responsabilité – à nous, la société civile – est de nous prononcer face à cette lecture. Nous vivons une période historique : un autre sommet aussi important que celui de Paris n’interviendra pas avant dix ans, laps de temps qui nous reste pour tenter d’infléchir le cours du dérèglement. La bataille climatique ne se joue qu’une fois. Peut-on se permettre de lui décréter une trêve dans un moment aussi décisif ?

L’argument du risque d’une action contre une foule qui défile, même s’il arrange les affaires du gouvernement, n’en est pas moins crédible…

Certes, mais ce n’est pas l’interdiction gouvernementale qui fera disparaître les attentats. Il faut s’accoutumer à l’idée qu’il y en aura probablement d’autres, hélas. Et puis le 11 janvier dernier, après les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, le message distillé au plus haut niveau de l’État était que le peuple français devait se montrer prêt à prendre des risques pour défendre les valeurs sacrées de la République. Des millions de personnes ont défilé, y compris des dizaines de chefs d’État. La lutte contre le dérèglement climatique, qui menace la vie sur la planète, n’est-elle pas un devoir sacré ? N’avons-nous pas aujourd’hui une responsabilité historique non négociable ? Par ailleurs, il va sans dire que les militants, depuis deux semaines, vivent une réelle souffrance, le traumatisme d’avoir perdu un proche dans les attentats ou d’assister à la douleur de leurs camarades. On a pleuré dans nos réunions. Mais tout le monde est pénétré de la conviction qu’il faut continuer, qu’il ne faut rien lâcher. La société civile doit faire entendre sa voix pendant la COP 21.

Vous êtes donc prêts à prendre le risque de la désobéissance ?

Ce serait une erreur formidable – l’aveu que Daech a gagné – si nous renoncions à lutter, à simplement nous exprimer comme nous l’entendons. Nous ne sommes pas des irresponsables. Et je ne parle pas à la légère : j’ai personnellement perdu des proches lors d’attentats passés. Quelles que soient les mobilisations auxquelles nous appellerons, nous ne cacherons rien aux participants. L’ambiance ne sera peut-être pas légère, mais chacun pourra se déterminer en conscience. En nous imposant ces mesures d’interdiction, le gouvernement nous traite en mineurs. Nous ne pouvons pas l’accepter. En outre, François Hollande doit aussi prendre ses responsabilités quand il enferme l’opinion dans le cercle vicieux de la « guerre au terrorisme », justifiant la prolongation de l’état d’urgence et la modification de la Constitution pour instaurer un État plus sécuritaire encore. Nous avons les moyens de nous défendre en utilisant notre arsenal de paix, avec plus de démocratie, d’ouverture et de tolérance, comme l’ont montré les Norvégiens après le massacre de l’île d’Utoya en 2011.

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