Aït Ahmed, l’homme qui a gagné la guerre et perdu la paix
Le dernier des fondateurs du FLN vient de mourir. Hostile au régime de parti unique, il avait fondé dès 1963 le Front des forces socialistes (FFS) mais avait dû s’exiler, ne faisant dans son pays que de courts séjours.
Dans l’histoire de l’Algérie, les démocrates sont rares. Hocine Aït Ahmed, qui vient de disparaître à l’âge de 89 ans, était de ceux-là. Le plus en vue. Le plus important des cinquante dernières années. Kabyle, né en 1926 dans la Wilaya de Tizi Ouzou, il a été l’un des neuf « fils de la Toussaint », ces indépendantistes algériens qui, le 1er novembre 1954, ont déclenché l’insurrection. Comme toute cette génération, Aït Ahmed a fait ses premières classes au sein du Parti Populaire Algérien (PPA) de Messali Hadj, dont il devient en 1948 l’un des plus jeunes dirigeants. Mais il se convainc rapidement de la nécessité de la lutte armée.
Il sera l’un des fondateurs du Front de Libération Nationale (FLN). C’est comme représentant de ce mouvement que Aït Ahmed participe en 1955 à la fameuse conférence des « Non-alignés » à Bandoeng (Indonésie). Ironie de l’histoire, Aït Ahmed passera la plus grande partie de la guerre d’indépendance en détention. Il fait partie de la délégation du FLN dont l’avion est intercepté en octobre 1956 par l’aviation française alors qu’il se rendait à une conférence à Tunis. Ce qui ne l’empêchera pas de prendre une part importante à l’action politique, plaidant inlassablement pour l’unification du mouvement.
Mais c’est après l’indépendance, à partir de mars 1962, qu’Hocine Aït Ahmed trouvera sa véritable identité politique. Dès l’été de cette année, il démissionne du gouvernement provisoire présidé par son compagnon de lutte, Ahmed Ben Bella. Aït Ahmed est hostile au régime du parti unique. En septembre 1963, il transgresse cette règle en fondant le Front des forces socialistes (FFS). La répression s’abat sur le FFS lors de ce que l’on a appelé « l’insurrection kabyle ». Arrêté et condamné à mort, il s’évade de la prison d’El Harrach, peu après le coup d’Etat qui porte au pouvoir Houari Boumediene.
Exilé en Suisse, il ne rentrera en Algérie qu’en 1988, après les émeutes d’octobre qui ouvriront une brève période d’espérance démocratique. Une période qui s’achèvera avec l’interruption par les militaires du processus électoral qui allait porter au pouvoir le Front islamique du salut (FIS). Aït Ahmed s’oppose à ce coup de force. C’est une constante de son action : il plaide pour l’intégration des islamistes dans le champ politique. On connaît la suite. Il ne sera pas entendu, et le renvoi des islamistes dans le maquis débouchera sur une guerre civile qui fera plusieurs centaines de milliers de victimes.
Aït Ahmed quitte de nouveau son pays en 1992 après l’assassinat de Mohamed Boudiaf, éphémère président de la République. Il n’y reviendra que pour de courts séjours, tout en faisant du FFS un acteur de premier plan de la vie politique algérienne, limité cependant par la répression et par une implantation majoritairement kabyle qui ne lui permettra pas de gagner en influence dans l’ouest du pays. Au cours des dernières années, Hocine Aït Ahmed était devenu une conscience pour tous ceux qui rêvaient d’une autre Algérie, démocratique et pluraliste.
Nous avons eu plusieurs fois l’occasion de le rencontrer dans ce grand café de la rue Lafayette où il avait ses habitudes parisiennes. Homme de prestance et d’autorité, il développait un discours de gauche, de social-démocrate, ce qui dans le paysage politique algérien est rare. Comme son pays, comme son peuple, il aura gagné la guerre et perdu la paix.
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