Attentats : Télégénie du malheur

Depuis le 13 novembre, la quête de l’émotion et l’obsession sécuritaire ont gagné les écrans.

Jean-Claude Renard  • 2 décembre 2015 abonné·es
Attentats : Télégénie du malheur
© Photo : JULIÀ/CITIZENSIDE/AFP

Reléguées, la sextape de Mathieu Valbuena et la mise en examen de Karim Benzema. Exit « l’homme au slip » chassant la bande de Bougrain-Dubourg dans les Landes. Exit aussi, sur TF1, la finale de « Secret Story » et la « Fiesta » de Patrick Sébastien, sur France 2, parmi les déprogrammations en série. Depuis près de trois semaines, tout naturellement, les attentats à Paris ont rempli l’écran (preuve, s’il en était besoin, qu’on peut se passer des déferlantes ineptes et replacer au bon endroit la hiérarchie de l’info).

Si la couverture des attentats s’est montrée plutôt sobre (à l’exception du magazine « 66 minutes », sur M6, avec ses images trash au café La Belle équipe, diffusées 48 heures à peine après le massacre, le CSA ne signalant curieusement aucun « manquement dans la responsabilité éditoriale » dans son rapport du 25 novembre, sinon d’avoir oublié la signalétique « déconseillé au moins de 12 ans »), l’information finit maintenant par bégayer entre émotion, enquête policière et obsession sécuritaire. Émotion d’abord, surfant sur l’empathie (elle aussi naturelle) et l’identification avec autant de « vies qui ont basculé sur le plan individuel ». À l’évidence, dans les premiers jours qui ont suivi le drame, la course s’est menée sur le front des témoignages. Il faut mettre à l’image le deuil des proches des victimes. Raconter, témoigner. Témoigner, raconter. Sans doute est-il nécessaire d’exprimer sa douleur à ce moment-là. Mais est-ce bien utile de filmer, de mettre à l’écran les pleurs (des chaînes d’info en continu à Canal +), sans pudeur, sans retenue, cédant facilement au voyeurisme ? Est-ce informer que de rapporter face caméra le témoignage éploré d’une femme qui a décidé de faire un don en faveur des familles de victimes (France 2) ? Émotion forcément à son comble quand sont égrenés le nom et l’âge de cent vingt-neuf des cent trente victimes lors de l’hommage de la nation, le 27 novembre. Une cérémonie retransmise sur France 2 (sur des images filmées par l’armée), commentée par Marie Drucker, qui ne peut s’empêcher de prononcer des mots chaque fois que retombe un silence de plomb dans la cour des Invalides, entre deux notes de violoncelle, comme s’il fallait meubler coûte que coûte (tandis qu’i-Télé a choisi le silence). Autre élément moteur de l’info, l’enquête. Elle avance pas à pas, mais à chaque jour son nouvel élément, tournant en boucle sur les chaînes. C’est la découverte d’une ceinture d’explosifs dans une poubelle à Montrouge, ce qui fait dire à Jean-Michel Decugis, spécialiste justice sur i-Télé, que le terroriste s’en est débarrassé ou bien qu’il n’a pas réussi à l’activer. Conclusion majeure d’un spécialiste qui se répète à l’envi, enfilant les perles et les évidences des heures durant. C’est ensuite le logeur présumé des terroristes de Saint-Denis déféré au parquet, le retour d’Abaaoud le soir même sur les lieux du carnage, un kamikaze pourtant sous surveillance, et interdit de quitter le territoire, qui a échappé aux contrôles…

La sécurité, c’est l’obsession de France 2, qui en fait ses titres. Le doublement des forces policières du côté de La Défense est ainsi l’occasion d’un micro-trottoir de citoyens emballés et rassurés par la multiplication des contrôles, avant d’enchaîner sur les « contours de la menace en Belgique », pays jugé trop laxiste, d’insister sur les failles du renseignement, les mesures propres à nous protéger, au marché de Noël de Strasbourg et ailleurs, ou d’évoquer une COP  21 sous haute surveillance. Justement, à l’occasion de cette même COP  21, on informe les Franciliens des voies fermées pour le week-end, toujours « pour des raisons de sécurité ». Mais qu’on se rassure : les stades restent ouverts, les matches de foot de Ligue 1 et 2 auront bien lieu. Sur ces questions de sécurité, France 2 ne dit mot des manifestations interdites en marge de la conférence climat, à Paris et en région, et ne s’étonne même pas qu’on puisse aller en masse suivre un match de foot. C’est pourtant autour du Stade de France que la tragédie a commencé.

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