Village des alternatives, à Montreuil : « Ici, c’est la COP 21 des vrais gens »

À Montreuil, le Village des alternatives a lancé des pistes pour agir autrement dans l’économie, le numérique ou l’alimentation.

Vanina Delmas  • 9 décembre 2015 abonné·es
Village des alternatives, à Montreuil : « Ici, c’est la COP 21 des vrais gens »
© Photo : Erwan Manac’h

Une quinzaine de kilomètres séparent Le Bourget de Montreuil. À peine quarante-cinq minutes de vélo. Pourtant, les négociations politiques de la COP 21 sont à des années-lumière de l’ambiance festive qui enflamme la place Jean-Jaurès. Ici, pas de cravate et de stratégie diplomatique mais des engagements concrets et de la bonne humeur. Par le froid hivernal qu’on attendait en ce début décembre, les écharpes et bonnets en tout genre habillent les visiteurs déambulant entre les stands du Village mondial des alternatives. Encore incertaine quelques jours auparavant en raison des réticences de la préfecture à autoriser une manifestation de rue de cette ampleur sous régime d’état d’urgence, cette grande foire des alternatives a finalement vu passer près de 30 000 personnes sans le moindre incident. Installés sur près de deux hectares autour de la mairie, onze quartiers thématiques ciblent les piliers d’une société nouvelle : habitat, économie, éducation, culture, mobilité… L’essentiel pour démontrer qu’une autre façon de vivre est possible et que des solutions existent pour contrer le dérèglement climatique dans la solidarité et la justice.

L’espace « Économie soutenable et finance responsable » attire l’attention. Les curieux affluent et bombardent les bénévoles de questions. Monique et Bernard, un couple de retraités franciliens, s’intéressent à la Nef, une coopérative financière qui garantit une totale transparence sur les projets financés. Cette épargne participative existe depuis 1988 et compte plus de 36 000 sociétaires pour soutenir des projets autour de trois axes majeurs : le développement durable, le social, la culture. « On veut avant tout créer du lien social, indique Jean-Claude Dupré, sociétaire actif à Grenoble depuis dix-neuf ans. La Nef a notamment financé les débuts de l’agriculture biologique alors que personne n’y croyait. » Et le marasme économique de 2008 a largement participé à son essor. « Après la crise, j’ai eu envie de mettre mon argent dans un endroit propre, témoigne Laurence. Et je ne regrette pas ! » Jusqu’à présent associée au Crédit coopératif, la Nef a récemment obtenu l’accord de la Banque de France pour devenir une « vraie banque » – éthique bien sûr. Un peu plus loin, la carte de France des monnaies locales invite à découvrir cette économie parallèle à l’euro : l’Eusko au Pays basque, l’Abeille à Villeneuve-sur-Lot, la Pêche à Montreuil et la toute récente monnaie grenobloise, le Cairn… Une nouvelle sphère économique qui offre de multiples possibilités pour utiliser le levier de la monnaie afin de favoriser les échanges locaux.

L’ironie est la tactique favorite des militants pour dénoncer les faux-semblants des multinationales. Sur l’air du générique de la série « Dallas », quatre énergumènes clament les bienfaits du pétrole en incitant les visiteurs à goûter leur cuvée noire tandis que « Monsieur Greenwashing » désinfecte les spectateurs pour les rendre « COP 21 compatibles ». Au croisement de deux rues, une réplique de la statue de la Liberté entourée de figurines de réfugiés climatiques s’élève. L’œuvre de l’artiste danois Jens Galschiot attire les flashs. De la vapeur s’échappe de sa torche pour figurer une fumée industrielle : sur la fausse tablette de marbre que porte la statue, s’inscrit le message « Liberté de polluer ».

À chaque stand, une nouvelle occasion d’apprendre et de débattre. Avec son panneau « Dégooglisons Internet », Genma distribue ses conseils pour un Internet plus éthique, plus sûr et plus libre. « Dans la vie de tous les jours, je suis informaticien, mais je suis aussi militant au même titre que ceux qui luttent contre les OGM ou les pesticides », se justifie-t-il. Cet « hacktiviste » prône l’hygiène et l’auto-défense numériques grâce à des moteurs de recherche qui ne vous espionnent pas (Qwant, Tonton Roger…), des logiciels libres à l’aide du réseau Framasoft ou des fournisseurs d’accès à Internet plus neutres, comme Franciliens.net. Des thématiques qui intéressent toutes les générations en cette période d’état d’urgence, surtout depuis l’adoption de la loi sur le renseignement. Sous les arbres dégarnis de la place de la mairie, un arbre à vœux se pare de centaines de rubans multicolores pour faire fleurir un peu d’espoir. En français, en anglais, en espagnol, en chinois… Fanny et Jacqueline contemplent un instant ces mots qui flottent au vent, rappelant que la mobilisation est mondiale. « Avec l’état d’urgence et l’atmosphère tendue depuis janvier, ça fait du bien de participer à cette manifestation joyeuse. Je ne suis pas sûre que ça mette une quelconque pression sur les décisions politiques au Bourget mais ça peut permettre de sensibiliser de nouvelles personnes », soutient Jacqueline. « Et on a un peu l’impression de participer à la COP 21, nous aussi », ajoute sa fille, convaincue que le véritable élan vient de la société civile.

Cette COP 21 alternative interpelle à chaque pas. « T’as vu le four solaire ? », « Viens essayer le vélo-mixeur ! » On croise les ours polaires de Greenpeace à la buvette. Le centre-ville est intégralement piéton. Ici, les seules vapeurs qui embrument la vue sont celles du vin chaud et du thé. Les bénévoles d’Alternatiba, organisateurs du village, redoublent d’efforts pour assurer le succès de l’événement. Avec leur cape rouge, des superhéros du recyclage plient les cartons et sortent les poubelles, tandis que les gilets vert fluo distribuent des plans à tour de bras. Bonnet péruvien sur la tête, Claire est chargée de surveiller les alentours pour éviter « tout débordement ». Et ne se fait pas prier pour expliquer aux passants la raison d’être du village. « Ici, c’est la COP 21 des vrais gens. Ce sont des citoyens qui veulent trouver des solutions pour mieux vivre malgré le réchauffement climatique et qui font bouger les choses à leur niveau, au quotidien », déclare la bénévole. « Je vois plutôt votre mouvement comme un bâtiment sans fondations, et c’est pour ça qu’il faut croire aux décisions politiques », réplique le passant sceptique. Des habitants du quartier traversent la place avec leurs courses ou leur baguette et questionnent : « Est-ce que c’est le marché de Noël ? » Il reste encore du chemin à faire… Une bénévole se réjouit d’avoir convaincu une cliente de la parfumerie Marionnaud de venir faire un tour dans le village.

Des fruits et légumes difformes aux couleurs de l’automne jonchent la table de l’association Fruimalin. On ne les reconnaît pas. Alors la discussion s’engage avec Thierry Deiller, le fondateur de l’association. Il parle de la préservation des ressources vivrières locales, de ces vergers où l’on jette des centaines de kilos de fruits en raison de leur aspect, mais aussi de ces nouveaux emplois créés pour les sauver – les « gardes-champêtres-confituriers », comme il les appelle. « Je suis profondément pessimiste, avoue-t-il sans sourciller, mais c’est aussi pour ça que je m’investis dans la sensibilisation des plus jeunes. On parle toujours de problématiques environnementales, mais, en réalité, ce sont avant tout des questions sociales ! » Et puis l’envie d’agir l’emporte. « C’est déjà la 21e COP et elle se déroule à Paris. Si on ne se fait pas entendre aujourd’hui, on ne le fera jamais ! »

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