« À Cuba, on peut encore être greffé du cœur gratuitement »

L’économiste Omar Everleny analyse les effets de l’ouverture en cours.

Françoise Escarpit  • 13 janvier 2016 abonné·es
« À Cuba, on peut encore être greffé du cœur gratuitement »
Omar Everleny Directeur de recherches du Centre d’études de l’économie cubaine et membre de la commission chargée des directives économiques et sociales.
© LAGE/AFP

L’ouverture de Cuba aux pays occidentaux ainsi que le changement de politique du Venezuela à son égard vont modifier en profondeur l’économie du pays. Celui-ci doit mettre en place un nouveau modèle permettant de limiter l’aggravation prévisible de la fracture sociale.

La dépendance économique de Cuba est-elle encore très importante ?

Omar Everleny : Les importations ont un peu diminué, mais nous en avons besoin pour développer certains secteurs. Et nous importons encore pour deux milliards de dollars de produits alimentaires que nous pourrions produire. Même si, avec la réforme agraire, on a donné des terres à ceux qui veulent les travailler, beaucoup de gens ont déserté la campagne. Les récents changements au Venezuela auront des conséquences, même si, depuis la mort d’Hugo Chavez, Cuba s’attend à ce dénouement. Le Venezuela ne nous donne pas le pétrole : nous l’achetons avec ce que nous recevons pour les services d’environ 20 000 médecins, mais les crédits et les conditions préférentielles ne dureront pas. Cuba produit aujourd’hui la moitié de son pétrole, aussi l’impact ne sera pas le même qu’en 1990, quand 100 % de cette énergie venait de l’URSS. Et les pays qui nous réclament des médecins, comme l’Algérie et l’Angola, sont producteurs de pétrole. Il faut aussi penser maintenant aux énergies renouvelables. Nous n’en sommes qu’à 4 %. Nous avons signé des accords avec l’Espagne pour l’installation d’éoliennes et nous avançons sur l’implantation de centrales bioélectriques dans les usines sucrières.

Où en est l’investissement étranger ?

Il n’est pas encore très important. Dans le futur grand port de Mariel, huit projets ont été approuvés mais sont encore en négociation [une entreprise états-unienne d’assemblage de tracteurs, deux cubaines de pharmacie et d’alimentation, deux mexicaines d’alimentation et de peinture, une espagnole pour des distributeurs automatiques de boissons et de produits alimentaires, et deux belges en logistique et équipements électriques, NDLR]. Hors de Mariel, il y a trente projets validés liés à l’immobilier et à la construction d’hôtels et de terrains de golf. Il y a déjà des accords signés avec des investisseurs mexicains (peinture et aliments pour le tourisme). En revanche, aucun investisseur états-unien ne fera rien à Cuba tant que le Congrès n’aura pas désarticulé la loi interdisant les relations économiques avec l’île. Mais les investisseurs sont intéressés en premier lieu par les télécommunications, une urgence à résoudre pour Cuba. La compagnie Spring a annoncé un accord pour ses téléphones portables, qui n’auraient plus de surcoût à Cuba. Ils sont également intéressés par le tourisme, le pétrole offshore et l’agroalimentaire, pour investir dans l’agriculture, l’élevage et acheter des produits cubains.

Avec l’unification annoncée des deux monnaies, la fracture sociale ne va-t-elle pas s’aggraver ?

En effet, il n’y aura plus que le peso cubain, la monnaie historique. La fracture sociale est une réalité, mais la différence qui existe ici, par rapport au reste du monde, c’est que le pauvre en revenus peut aller à l’hôpital et recevoir une greffe du cœur gratuitement. Le pauvre, au Mexique, est pauvre : il n’a droit à rien. Ici, on bénéficie encore de l’éducation, de la santé et de la culture gratuites, ou presque, d’une ration alimentaire minimale, de tarifs bas du téléphone et de l’électricité, et presque tout le monde est propriétaire de sa maison…

Mais que va-t-il se passer lorsque le FMI soulignera qu’il y a trop de santé, d’éducation et de culture ?

On parle du côté négatif du FMI, mais, actuellement, Cuba doit payer 18 % d’intérêts à divers pays : si nous étions au FMI, nous ne paierions que 2 %. Le Vietnam est entré au FMI et à la Banque mondiale, et ce pays connaît une croissance de 8 à 9 % et sort sa population de la pauvreté. Cuba ne peut plus être l’unique territoire du monde exclu de ces institutions. Notre pays doit savoir où il veut aller et, sans oublier les aspects négatifs des actions du FMI, se reconstruire. Il ne peut continuer d’être le laboratoire de ce que les gens veulent qu’il ne soit pas.

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