Bernard Mezzadri : « L’objectif est de me faire taire »

Accusé de provocation à la haine raciale pour avoir repris ironiquement des propos de Manuel Valls, l’universitaire Bernard Mezzadri s’explique ici à quelques jours de son procès.

Ingrid Merckx  • 13 janvier 2016 abonné·es
Bernard Mezzadri : « L’objectif est de me faire taire »
Bernard Mezzadri Enseignant de langues anciennes à l’université d’Avignon.

Le 27 janvier, Bernard Mezzadri comparaîtra devant le tribunal correctionnel d’Avignon. Ce maître de conférence est accusé de provocation à la haine raciale pour avoir repris ironiquement des termes employés le 7 juin 2009 par Manuel Valls. Arpentant une brocante à Évry, celui qui en était alors le maire avait glissé à son collaborateur : « Belle image de la ville d’Évry… Tu me mets quelques Blancs, quelques White, quelques Blancos… » Sur une liste de débats interne aux personnels de l’université, Bernard Mezzadri avait écrit à la veille de la venue de Manuel Valls : « J’espère qu’en cette grande occasion la délégation [de l’université d’Avignon] comptera suffisamment de “blancos” (et pas trop de basanés), afin de ne pas donner une trop mauvaise image de notre établissement. » Il a été dénoncé pour cela même qui l’offusquait. La pétition de soutien lancée en sa faveur le 1er janvier s’allonge. Tandis que Manuel Valls fait l’objet de deux plaintes pour provocation à la discrimination raciale du fait de ses discours concernant les Roms en 2013.

Votre procès, prévu le 27 janvier, est relatif à des faits qui se sont déroulés en mai dans votre université. Quel est le contexte de cette affaire ?

Bernard Mezzadri : En mai dernier, une délégation de l’université d’Avignon devait rencontrer le Premier ministre à Marseille. J’enseigne les langues anciennes et n’appartiens à aucune instance dirigeante. Je ne faisais donc pas partie de la délégation. En revanche, je me suis exprimé à propos de cette visite sur une liste interne aux personnels de l’université, UAPV-débats, destinée aux débats, comme son nom l’indique. J’y étais déjà intervenu sur des questions concernant la LRU ou l’orientation de l’UFR de lettres. Au marché d’Évry, en 2009, Manuel Valls s’était plaint qu’il n’y avait pas suffisamment de « Blancos » dans le paysage. Dans mon message, je reprenais ironiquement ce terme et dénonçais la politique du Premier ministre à l’égard des Roms. J’évoquais aussi son comportement vis-à-vis des militants basques : Manuel Valls a quitté la Ligue des droits de l’homme quand celle-ci s’est opposée à l’extradition de militants basques vers l’Espagne.

Comment comprenez-vous l’accusation dont vous faites l’objet ?

Il n’y avait aucune ambiguïté dans mes propos. Dans cette université où je travaille depuis les années 1990, tout le monde sait que je ne suis pas un propagandiste d’extrême droite. Je suis pourtant convoqué au tribunal pour « provocation à la haine raciale ». On me reproche d’être raciste et xénophobe, soit cela même que je reprochais au Premier ministre. J’ai simplement repris ses termes et critiqué sa politique. L’objectif de cette accusation est de me faire taire. C’est une tentative d’intimidation. Le chef d’inculpation semble émaner du procureur lui-même, l’université ayant déclaré qu’elle ne serait pas partie prenante dans ce procès.

Avez-vous le sentiment d’avoir été trahi par votre hiérarchie ?

J’ai été dénoncé : mon message était un texte interne, et c’est la présidence de l’université qui a décidé de le transmettre au procureur et au recteur de l’académie d’Aix-Marseille. Cela va à l’encontre des traditions, usages et règles de l’université, censée protéger la liberté d’expression de ses membres. Je n’ai appris son rôle exact qu’en juillet, quand l’officier de police judiciaire m’a convoqué à Avignon. Je me suis expliqué en insistant sur l’ironie de ma phrase. Après cette audition, je ne pensais pas que ce chef d’inculpation serait retenu, étant donné son caractère délirant. Mais il est resté. N’ayant pas reçu le dossier d’inculpation, j’ignore quel était le contenu de la lettre émanant de l’université. Le nombre de personnalités qui me soutiennent me réconforte bien au-delà de mon cas personnel, car, ce qui est en jeu, c’est la liberté d’expression à l’université, et plus largement dans la société. Et c’est aussi le droit de dénoncer la xénophobie au moment où l’on observe l’instauration d’une xénophobie institutionnelle. Manuel Valls, en tant que ministre, vise une population particulière. Mes soutiens ne soutiennent pas Mezzadri mais un enseignant qui a dénoncé une politique odieuse. Cela signifie qu’il y a encore des gens à l’université et au-delà pour dire non.

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