« Game of Thrones » : Le pouvoir et la morale

Mariant prouesse artistique et analyse du monde, Game of Thrones remporte un succès mondial auprès d’un public très divers.

Ingrid Merckx  • 27 janvier 2016 abonné·es
« Game of Thrones » : Le pouvoir et la morale
© Photo : Game of Thrones - Kobal/The Picture Desk/AFP

C’est l’hystérie. Depuis que les internautes ont vu s’afficher la tête de Jon Snow avec cette mention : « Avril », annonçant (enfin !) la date de diffusion de la sixième saison de Game of Thrones (GOT), les fans se déchaînent. D’abord parce que Jon Snow – figure de courage et de noblesse de l’âme dans un monde qui en a perdu la notion depuis la première saison – est censé être mort. Il ne l’était pas ? Il ressuscite ? Se réincarne ? Chacun y va de son hypothèse. Car les scénaristes, David Benioff and D. B. Weiss, sont allés plus vite que le romancier George R. R. Martin, dont l’œuvre A Song of Ice and Fire a inspiré la série.

Games of Thrones se déroule dans un Moyen Âge sombre où un hiver sans fin s’apprête à tout recouvrir. À l’extrême nord d’un monde géopolitiquement complexe, les premiers hommes ont édifié un mur haut comme une chaîne de montagnes. Il doit freiner des « Marcheurs blancs », sortes de morts-vivants qui veulent les dévorer alors qu’ils s’entre-déchirent pour conquérir le trône de fer gouvernant les sept couronnes. C’est la porte ouverte à toutes les métaphores : l’héroïque fantaisie fonctionnant un peu sur le même modèle que celle de -Tolkien, avec une surdose d’imagination, de politique et de magie. Sans compter que la série, aux personnages féminins plus intéressants que leurs homologues masculins, est filmée dans des décors et des espaces naturels somptueux, et que le travail de la langue ainsi que le jeu des acteurs sont remarquables.

« Games of Thrones utilise ces vieilles recettes que sont la violence et le sexe, reconnaît Laurence Herszberg, directrice du Forum des images. Mais elle pose vraiment la question du pouvoir et de la morale. Son énorme succès vient du fait qu’elle marie prouesse artistique et analyse cachée du monde. Elle offre ainsi plusieurs niveaux de lecture, allant du plus large public aux plus intellos. »

Dans l’introduction de Games of Thrones. Série noire, ouvrage collectif dirigé par Mathieu Potte-Bonneville (1), le philosophe trace un lien entre deux exécutions inaugurales dans GOT et celles des journalistes James Foley puis Steven Sotloff, retenus par l’État islamique en Irak et au Levant. C’est que le jeu de miroirs de la série fonctionne assez bien pour réactiver des images qui hantent le spectateur. C’est aussi que les terroristes d’aujourd’hui empruntent codes et cadrages du cinéma dans leurs vidéos. Pour Mathieu Potte-Bonneville, les Marcheurs blancs annoncent « l’imminence de temps nouveaux, effrayants et incertains ». Une guerre sans cap servant de « faisceau de correspondances » entre le monde contemporain et celui de la série.

Le scénario de destruction qu’illustre la série fait écho à « un ordre social et économique où tous les pactes ont été rompus » ainsi qu’à « une conscience latente de la fin de la civilisation occidentale telle que nous la connaissons », écrit Pablo Iglesias, dans un livre que Podemos a consacré à la série (2). Pour le parti espagnol, né de la volonté de faire monter la mobilisation sociale au pouvoir, GOT donne une magistrale leçon de remise en cause de la légitimité du pouvoir. Si le personnage de la blanche Khaleesi incarne un espoir, c’est parce qu’elle donne naissance à des dragons (sa force), mais aussi qu’elle réunit un pouvoir (une armée) et acquiert une légitimité en s’émancipant en tant que femme dans un monde dirigé par les hommes, rendant leur liberté à des esclaves qui lui sont ensuite dévoués. « Son projet politique de rupture avec l’ordre établi dépend entièrement du caractère exemplaire de ses actions. » De quoi rêver…

(1) Game of Thrones. Série noire, Les prairies ordinaires, 192 p., 16 euros.

(2) Les Leçons politiques de Game of Thrones, Pablo Iglesias (Podemos), traduit de l’espagnol par Tatiana Jarzabek, Post-éditions, 304 p., 21 euros.

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