Jean-Louis Bianco : « On vise surtout les musulmans »

Jean-Louis Bianco réagit à la mise en cause par Manuel Valls de l’Observatoire de la laïcité.

Vanina Delmas  • 27 janvier 2016 abonné·es
Jean-Louis Bianco : « On vise surtout les musulmans »
© Jean-Louis Bianco, Président de l’Observatoire de la laïcité.

L’attaque du Premier ministre ravive un débat trop souvent passionnel sur la laïcité. Pour Jean-Louis Bianco, cette polémique alimente un certain acharnement contre les musulmans.

Comprenez-vous l’attaque du Premier ministre, qui vous accuse de « dénaturer la laïcité » ?

Jean-Louis Bianco Je ne comprends pas cette accusation, et je ne sais pas pourquoi cela arrive aujourd’hui. Manuel Valls et son cabinet, comme les ministères concernés et le Parlement, sont régulièrement informés des travaux de l’Observatoire de la laïcité. Il y a un an et demi, nous avons défini notre position dans une note d’orientation approuvée à l’unanimité. Je partage totalement la définition de la laïcité donnée par le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve : « La laïcité n’a pas à se durcir mais à s’affirmer. Tout est déjà dans la loi. Il faut l’appliquer sereinement, sagement. » C’est exactement ce que nous disons depuis notre fondation. Je ne pense pas qu’il y ait véritablement une opposition entre deux laïcités, mais je crois qu’il y a une volonté de certains de déstabiliser l’Observatoire sous prétexte de divergences.

Sur France Inter, vous avez qualifié de « vision intégriste de la laïcité » la position de Manuel Valls. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Je ne parlais pas forcément du Premier ministre. Il ne faut pas mettre d’adjectifs à « laïcité ». Certains disent laïcité ouverte, fermée… On tire alors cette valeur vers des visions partiales et partielles, mais, pour moi, c’est toute la laïcité, rien que la laïcité. Une « laïcité intégriste », c’est prétendre neutraliser l’espace public, c’est dire que tout devrait être neutre : les usagers, les gens dans la rue, dans l’entreprise, à l’université, les parents qui accompagnent les sorties scolaires… Mais, au fond, ça tourne à une fixation sur l’interdiction du port du foulard. Ça me paraît une déformation grave de ce qu’est historiquement la laïcité, et c’est un très grand danger pour la cohésion nationale.

Pensez-vous qu’il y a un regain d’islamophobie mêlé à une instrumentalisation de la laïcité en France ?

J’évite d’utiliser le mot « islamophobie » parce qu’il est l’objet d’un tas de querelles très françaises. On s’attaque sur les mots au lieu de regarder les faits. Ce qui compte, ce sont les actes anti-musulmans comme les actes anti-sémites ou les actes anti-chrétiens. Ils sont aussi condamnables les uns que les autres.

Les faits montrent une aggravation sensible de la situation, alors qu’on pouvait espérer le contraire après les manifestations de janvier. Les actes anti-musulmans ont triplé. Il y a une instrumentalisation de la laïcité à l’extrême droite pour exclure les musulmans. Et d’autres, au-delà de l’extrême droite, peuvent être dans le même état d’esprit. J’espère juste que la société a conscience du fait que rien ne justifie qu’on empêche la liberté de conscience.

Quelles solutions concrètes propose l’Observatoire de la laïcité pour apaiser le débat ?

La tâche prioritaire consiste en un gigantesque effort d’information et de formation sur les questions de laïcité pour les citoyens, les fonctionnaires, les élus, les syndicalistes, les chefs d’entreprise… Nous faisons ce type d’interventions deux ou trois fois par semaine et nous publions des guides : pour les collectivités locales, les entreprises privées, les associations et bientôt les hôpitaux. C’est toujours nécessaire de rappeler ce que dit la loi, la jurisprudence, et quelles sont les bonnes pratiques.

On travaille avec des enquêtes de terrain, des questionnaires, des déplacements. On n’invente pas la réalité, on la décrit telle qu’elle est. Les gens s’inquiètent de plus en plus, et les tensions s’accroissent sur le fait religieux, mais, pour autant, la laïcité n’est pas menacée car les gens y adhèrent profondément.

Une proposition de loi visant à inscrire dans la Constitution les principes fondamentaux de la loi laïque de 1905 sera débattue au Sénat le 3 février. Est-ce une nécessité ?

Je ne suis pas sûr que ça fasse profondément avancer le sujet. Et ça risque de relancer des débats, une réaction contre les musulmans et contre l’islam, comme on le voit aujourd’hui. Il se greffera forcément un débat pour des propositions de loi interdisant encore et encore. Les interdictions pour les signes religieux visent exclusivement ou presque les musulmans et surtout le foulard. Alors que la loi de 1905, c’est la liberté de porter le badge d’un parti, une kippa, un foulard, une croix, un turban, ce que vous voulez, dans la rue.

Société
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute
Portrait 4 décembre 2024 abonné·es

François Turpeau, un « jaune » qui cultive l’écoute

À la tête de la Coordination rurale de la Vienne, le céréalier, viticulteur et cultivateur d’échalions défend la ligne nationale du syndicat. Mais, au niveau local, celui qui est aussi vice-président de la chambre d’agriculture maintient un dialogue franc avec les écologistes et les autres syndicalistes.
Par Mathilde Doiezie
Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?
Économie 4 décembre 2024 abonné·es

Agriculteurs : vivre ou nourrir, faut-il choisir ?

Au cœur de la détresse des exploitants : la rémunération globalement bien trop faible, en dépit de fortes disparités. La question, pourtant, peine à faire l’objet de véritables négociations et à émerger dans le débat public.
Par Vanina Delmas
La Coordination rurale contre l’État et les écolos
Enquête 4 décembre 2024 abonné·es

La Coordination rurale contre l’État et les écolos

Le syndicat est en première ligne dans la mobilisation des agriculteurs et assume des méthodes musclées pour obtenir ce qu’il veut. Une façon de s’imposer comme le représentant de « tous les agriculteurs » à deux mois des élections professionnelles.
Par Pierre Jequier-Zalc
À Sevran, une scène à la maison
Reportage 4 décembre 2024 abonné·es

À Sevran, une scène à la maison

Dans cette ville de Seine-Saint-Denis, le théâtre La Poudrerie se produit chez l’habitant·e depuis treize ans. Une initiative gratuite qui ravit la population et qui permet au débat d’exister d’une nouvelle façon.
Par Élise Leclercq