Michel Portal : Les jeux de l’inouï et du hasard

Le 19 février, auront lieu des retrouvailles de haut vol entre jazz et funk, incarnées par Michel Portal et la rythmique de Prince.

Lorraine Soliman  • 27 janvier 2016 abonné·es
Michel Portal : Les jeux de l’inouï et du hasard
Concert : 19 février, festival Sons d’hiver, Maison des arts, Créteil. CD : Minneapolis, We Insist !, 2001, Universal.
© Jean-Marc Lubrano

En 2000, le producteur Jean Rochard déclenchait une rencontre inouïe entre le saxophoniste–clarinettiste-bandonéoniste basque Michel Portal et les musiciens de Prince. Rien ne laissait prévoir la réunion de l’un des monuments du jazz français avec ces seigneurs de la funk états-unienne. Rien, si ce n’est leur capacité réciproque d’adaptation quasi immédiate à un univers musical radicalement différent. Après dix jours d’intense activité phonographique dans les célèbres studios Creation Audio de Steve Wiese, à Minneapolis, le premier CD made in USA de Michel Portal était prêt à voir le jour. –Minneapolis, We Insist ! paraît en 2001 chez Universal.

Pour la 25e édition du festival Sons d’hiver, son directeur, Fabien Barontini, propose de faire revivre cette aventure le temps d’un concert – peut-être plus ? Cette fois-ci, Michel Portal n’hésite pas une seconde. Le 19 février, quinze ans après la belle aventure, ils se retrouveront sur la scène de la Maison des arts de Créteil, et peut-être qu’on entendra Michel Portal, en guise de prémices heureuses, souffler à Vernon Reid, Tony Hymas, Michael Bland et Sonny Thompson : « Allez-y les copains, étonnez-moi. Faites votre truc. Ne vous occupez pas de moi, je vais jouer l’oiseau, au-dessus… Lâchez tout. Allons-y ! »

Ces mots qu’il prononça dans les studios de Minneapolis pour terrasser l’inhibition initiale résument l’état d’esprit du musicien Michel Portal, qu’une réputation d’éternel inquiet ne laisse pourtant pas tranquille. « Je suis plutôt du genre prudent, c’est vrai. Mais cela vient beaucoup de mon parcours. Contrairement à eux, je suis surtout passé par des inquiétudes : les concours internationaux, l’expérience du grand orchestre, si vous faites un sol dièse à la place d’un sol bécarre_, tout le monde vous regarde… Ça m’est arrivé. »_ Car Michel Portal, avant d’être jazzman, est un formidable clarinettiste classique, interprète estimé de Mozart, Brahms, Berg, Boulez, Stockhausen et Berio, pour n’en citer que quelques-uns. Interprète, mais aussi compositeur, notamment de bandes originales pour lesquelles il acquiert une belle renommée (Max mon amour, de Nagisa Ôshima, en 1986, la Petite Chartreuse, de Jean-Pierre Denis, en 2005…). Et lui qui assure ne se sentir « chef de rien du tout » se place pourtant en chef de file de la musique improvisée européenne dès le milieu des années 1960, lorsqu’il participe, avec le pianiste François Tusques, à la naissance d’un free-jazz à la française.

Le 23 août 1972, dans l’amphithéâtre de Châteauvallon, Michel Portal enregistre un concert devenu d’emblée historique. Cinquante minutes d’improvisation libre qui médusent les spectateurs et se posent en acte fondateur du jazz européen. À ses côtés, Bernard Vitet à la trompette et au cor, Léon Francioli et Beb Guérin à la contrebasse, Pierre Favre aux -percussions et la chanteuse Tamia, soit son premier Unit, structure ouverte qui ne cessera de se renouveler et d’élaborer une musique imprévisible. Parallèlement à cela, Michel Portal se tourne vers la musique contemporaine la plus avancée, ce qui le conduira, en 1995, à donner en création mondiale le concerto pour clarinette du compositeur italien Franco Donatoni.

Entre ses différentes passions musicales, Michel Portal choisit de ne pas choisir. Sans que cela nuise en rien à la lisibilité de sa carrière. Son ancrage dans le terroir mélodique basque (son grand-père était chef de fanfare à Bayonne) fait sans doute office de fil conducteur discret. À moins que ce ne soit sa « passion pour le hasard et l’inouï », selon les termes de son grand ami et admirateur, le journaliste Philippe Carles. « C’est un tourbillon, cette vie, on ne sait jamais ce qui va se passer », répond-il lorsqu’on l’interroge sur ses retrouvailles avec l’« équipe » de Minneapolis le 19 février prochain.

Musique
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