Carnet de voyage multiracial

Avec Travelling Souls, Déborah Tanguy et Olivier Cahours nous entraînent dans une aventure éclectique entre la France et l’Afrique du Sud.

Lorraine Soliman  • 2 mars 2016 abonné·es
Carnet de voyage multiracial
© **Travelling Souls**, Music Box. **Concerts :** le 10 mars, avec les élèves de la classe de jazz vocal du Conservatoire Jean-Wiéner de Bobigny ; en duo le 20 avril au Café Laurent (Paris Vie). Photo : Aurélie Bayad

Les reprises de l’hymne national sud–africain, « Nkosi Sikelel’ iAfrika » (« Dieu bénisse l’Afrique », en langue xhosa), ne manquent pas, mais cette version de la chanteuse Déborah Tanguy, en duo avec le guitariste Olivier Cahours, fait beaucoup mieux qu’allonger la liste. Elle la complète, l’augmente et confère à ce chant une dimension foncièrement originale.

Composé en 1897 par le révérend méthodiste Enoch Sontonga, adopté par l’ANC comme hymne officiel en 1925, puis combiné avec l’hymne national afrikaner pour n’en faire qu’un seul, il est chanté dans les cinq langues les plus parlées d’Afrique du Sud. À partir de 1996, il est un symbole puissant d’unité multiraciale, non seulement en Afrique australe mais aussi à travers le monde. Autant dire qu’il faut pouvoir s’en saisir… ce que font Déborah Tanguy et Olivier Cahours avec un naturel déconcertant.

D’un souffle grave et chaud, chargé d’émotions profondes, Déborah Tanguy s’empare de ce chant lourd de sens et l’incarne à sa manière simple (en apparence) et belle de jazzwoman. À ses côtés, le guitariste Olivier Cahours est le complice idéal : constamment à l’écoute, jamais trop devant ni trop derrière, amoureux du beau son tout autant que du silence qui l’entoure. Ainsi, ce « Nkosi -Sikelel’ iAfrika », placé en ouverture d’album, donne le ton de Travelling Souls. Solennel et radieux à la fois.

La suite du voyage est tout aussi attachante. De l’anglais au xhosa en passant par l’espagnol et, bien sûr, le scat, langage inouï du jazz où la voix déferle hors des mots, Déborah Tanguy habite ce qu’elle chante. Et peut-être ici plus encore que d’habitude. Ce projet est le sien, indéniablement, fruit d’un itinéraire foisonnant de musiques et de transmission entre la France et l’Afrique du Sud depuis plus d’une décennie. Olivier Cahours, avec qui elle se produit régulièrement et anime de nombreux stages (notamment dans le cadre du Crest Jazz Vocal, chaque été), n’en est pas moins au cœur du sujet, dans l’écriture (la moitié des morceaux sont des compositions) comme dans le jeu.

C’est que ces deux-là parlent la même langue et vivent la musique dans sa globalité. La chanteuse Déborah Tanguy est avant tout musicienne : violoniste et saxophoniste de formation, aux percussions corporelles quand ça lui chante, et bien lui en prend ; l’instrumentiste Olivier Cahours fait chanter sa guitare à sept cordes comme si elle était un prolongement de lui-même.

Éclectique, mais pas éclaté, Travelling Souls a des allures de carnet de voyage, ce que soulignent joliment les illustrations de pochette signées Alexandre Follain. Sorti en version digitale le 26 février et vendu à la fin des concerts, ce très bel album mériterait une autre distribution.

Musique
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