Danse avec Dylan

Avec sa nouvelle création, la chorégraphe flamande Lisbeth Gruwez se livre à un corps-à-corps aussi élégant qu’envoûtant avec la musique du songwriter.

Jérôme Provençal  • 16 mars 2016 abonné·es
Danse avec Dylan
© Lisbeth Gruwez Dances Bob Dylan, Théâtre national de Toulouse, du 22 au 24 mai, 05 34 45 05 05 ; Les Bains-Douches, à Montbéliard, le 29 mai, 03 81 98 45 71. Photo : Luc Depreitere

Née en 1980, Lisbeth Gruwez a d’abord œuvré en tant que danseuse-performeuse, s’affirmant comme une interprète de premier plan au sein de la bouillonnante scène flamande des années 1990-2000. Ancienne élève de Parts (Performing Arts Research and Training Studios, prestigieuse école de danse bruxelloise fondée en 1995 par Anne Teresa De Keersmaeker), elle a travaillé avec plusieurs metteurs en scène chorégraphes flamands, en particulier Jan Fabre, avec lequel elle a noué une relation artistique privilégiée. Elle a notamment participé à l’aventure de Je suis sang, pièce emblématique de Fabre, créée dans la Cour d’honneur du Palais des Papes lors du Festival -d’Avignon 2001.

Le parcours de la jeune femme prend un tournant décisif en 2004 avec Quando l’uomo principale è una donna, solo qu’elle interprète et conçoit en collaboration avec Jan Fabre. Semblable à un rite initiatique, cette œuvre saisissante et riche en huile d’olive [^1] va conduire Lisbeth Gruwez à glisser vers la conception de ses propres pièces.

En 2006, elle crée la compagnie Voetvolk avec le compositeur Maarten Van Cauwenberghe, et ils présentent en 2007 leur premier projet commun : Forever Overhead. Privilégiant la forme du solo mais créant également des pièces de groupe, Lisbeth Gruwez fait particulièrement forte impression avec It’s Going to Get Worse and Worse and Worse, My Friend,unepièce de 2012 dans laquelle, seule en scène, elle affronte le discours d’un télévangéliste américain ultraconservateur, lui opposant une danse tendue vers une forme de transe et sous-tendue par une volonté viscérale de résistance. Sans conteste, l’une des pièces de danse contemporaine les plus marquantes de ces dernières années.

Après le prédicateur, Lisbeth Gruwez s’empare dans sa nouvelle création, commencée en 2015, de cette autre figure archétypale de la culture nord-américaine qu’est le songwriter – et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de Bob Dylan.

Intitulée Lisbeth Gruwez Dances Bob Dylan, l’œuvre n’a pas été pensée comme un hommage à l’auteur de Like A Rolling Stone. Gruwez avoue d’ailleurs être longtemps restée insensible à sa musique et s’y être intéressée par l’intermédiaire de Maarten Van Cauwenberghe, grand fan de Dylan. « Les amis ouvrent un monde devant nous, ils bousculent nos habitudes, nous emmènent vers d’autres lieux que l’on n’aurait peut-être jamais trouvés tout seul », dit-elle joliment à ce sujet.

À l’image du titre de la pièce, le dispositif scénique de Lisbeth Gruwez Dances Bob Dylan a la simplicité de l’évidence. Au centre du plateau, élégamment épuré, que viennent moduler de subtiles variations de lumière, la jeune femme – pieds nus, pantalon noir flottant, chemise blanche – danse au rythme des chansons sélectionnées par Van Cauwenberghe, lequel se positionne dans le coin gauche de la scène. Juché sur un haut tabouret, derrière des platines vinyles, il officie tel un DJ monomaniaque, puisant dans la période la plus faste de Dylan (1960-1970), évitant les chansons les plus connues.

Désireuse de traduire les états d’âme (et de corps) traversés par une personne se retrouvant à danser seule en fin de soirée, dans une relation d’intime communion avec la musique, Lisbeth Gruwez s’immerge (et nous avec) dans les chansons de Robert Zimmerman, en marquant des pauses – pour ôter négligemment son pantalon ou boire quelques gorgées de bière, par exemple. Ardente et expressive, sa danse n’est jamais littérale ni excessive. Elle atteint son point culminant à la fin, en un lent et envoûtant tournoiement onirique au son de « Sad-Eyed Lady of The Lowlands », ballade magnifique extraite de l’album Blonde on Blonde.

[^1] Voir un aperçu du spectacle sur numeridanse.tv, la précieuse vidéothèque de danse en ligne.

Culture
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